Ces lieux bannis de la société qui ont donné le nom si explicite de «banlieues», je les connais de l’intérieur: de mon adolescence, quand j’étais militant associatif, président de l’association «Hors la Zone», jusqu’à mon âge adulte, quand je suis devenu conseiller de Martine Aubry -alors numéro 2 du gouvernement Jospin, précisément en charge de ces questions, puis auprès d’Élisabeth Guigou.
Je garde précieusement le rapport que j’avais remis à l’époque au Premier ministre Lionel Jospin, intitulé «50 propositions pour la jeunesse des Banlieues». Celles-ci restent hélas toutes d’actualité!
C’est à la lumière de mon expérience que je voudrais donner mon sentiment sur ce qui se passe actuellement en France: ni rire, ni pleurer, mais comprendre!
La première chose que je souhaite exprimer est mon étonnement, mon étonnement que l’on s’étonne. Ce qui arrive aujourd’hui était inéluctable, et tellement prévisible!
Lorsque, dans les années 60 et 70, la France avait fait venir à tour de bras des travailleurs, notamment en provenance du «Maghreb», c’étaient nos pères. La France avait besoin de leur force, de leurs bras, de leur sueur pour bâtir justement ces banlieues et aller travailler à la chaîne dans les usines de montage automobile. La France n’a pas su -ou n’a pas voulu- voir que ces hommes dans la force de l’âge allaient fonder des foyers, des familles dont naîtraient des enfants.
Ces gosses qui aujourd’hui mettent la France à feu et à sang sont leurs petits-enfants! Quel sort leur a-t-on réservé, quelle vie leur a-t-on faite?
Ce sont, pour une bonne part, toutes ces questions qui remontent à la surface. En créant des ghettos communautaires, ce sont les conditions de ces dérives qui se mettaient en place de manière souterraine, depuis si longtemps.
Puisqu’il est important de dire les choses avec dignité et de ne pas sombrer dans les différentes surenchères, il faut clamer haut et fort qu’un gosse de 17 ans ne devrait en aucun cas mourir sous les balles d’un policier: s’il est coupable, s’il est hors-la-loi, s’il est délinquant, alors c’est la justice qui doit le juger et non pas un policier, qui rétablit ici la peine de mort.
Pour autant, il n’est pas acceptable que d’autres gosses -entre 14 et 18 ans- se donnent à leur tour le droit de «se venger» en brûlant tout ce qui se trouve sur leur passage.
D’autant plus qu’il semble clair que si la mort du jeune Nahël a suscité une réelle vague de colère dans les heures qui ont suivi sa mort, nous n’en sommes plus là aujourd’hui, où la violence, la haine et le pillage surfent sur le meurtre de ce jeune.
Toutes les frustrations, toutes les rancœurs, toutes les vexations, toutes les humiliations qui couvaient depuis si longtemps ressortent: je comparerais cela à un volcan entré en éruption.
Or, qui aujourd’hui en France est capable de parler à ces jeunes, qui est capable de se faire entendre d’eux? La réponse est: personne!
Incriminer le peuple français en le traitant de raciste, dézinguer la police en la disant elle aussi raciste, désigner la population des banlieues comme coupable de tous les maux de la société, stigmatiser la jeunesse en la comparant à de la racaille… tout cela est injuste et ne résoudra rien.
Il y a des racistes dans la police, il y a des délinquants parmi les jeunes. Ce sont des réalités, mais que fait-on une fois que l’on a dit cela? Le mal est ancien, profond, peut-être inguérissable.
Il y a une ignominie et une hypocrisie incroyables à entendre aujourd’hui les chaînes d’info, les Zemmour, les Messiha et compagnie, se lamenter et crier au loup. Ils ont une immense part de responsabilité dans ce qui arrive, eux qui, à longueur d’année, ont dénigré, insulté ces jeunes (qu’ils continuent d’appeler immigrés), les rabaissant, les humiliant à longueur d’antenne.
Mais après tout, n’est-ce pas ce qu’ils recherchaient? La réponse est dans la question.
Qui sont les premières victimes de ce cercle infernal? Les Français eux-mêmes, dont bien évidemment la part d’entre eux issue de l’immigration et plus particulièrement les habitants des banlieues.
Des femmes et des hommes politiques, de gauche comme de droite, ont eu le courage de vouloir s’attaquer aux maux créés par cette ghettoïsation. Je citerai Martine Aubry, Jean-Louis Borloo, Alain Juppé ou Michel Delebarre. Ils ont été minorés!
Nous sommes passés du «vivre ensemble» au «vivre à côté», pour arriver au vivre contre !
En ce moment même, ce sont 40, 50 ans de politique au fil de l’eau qui se payent cash.
Qu’il me soit permis un aparté. La politique étrangère de la France joue un rôle dans ce qui se passe aujourd’hui: des jeunes Français d’origine algérienne (de la troisième ou quatrième génération) ont été biberonnés au désamour de la France, ils n’en sont pas responsables, mais victimes.
Aux responsables politiques d’en tirer les conséquences pour inverser durablement la tendance, pour le bien de la France, le bien de ces jeunes et le bien de la jeunesse issue de l’immigration, dans son ensemble, victime d’amalgames.
Cette vague d’émeutes, de violences, de destruction ne passera pas comme ça. L’ordre reviendra certes, mais le feu continuera à couver sous la braise.
Stigmatisation, incompréhension, rejet, défiance, xénophobie, détestation… Des deux côtés, tous ces mots désignent des maux!
Une voie s’offre pour contribuer à sortir de l’impasse, me semble-t-il: casser la ghettoïsation humaine, sociale, culturelle et professionnelle. Vite.