Craignant une escalade aux conséquences imprévisibles, la Russie a affirmé être "prête à servir d'intermédiaire" pour résoudre la crise entre Ryad et Téhéran, deux pôles d'influence dans la région tourmentée du Proche-Orient. Les Etats-Unis, alliés des Saoudiens, mais qui se sont aussi rapprochés des Iraniens à la faveur de l'accord sur le nucléaire conclu en juillet, ont ,eux, appelé "à des mesures positives pour calmer les tensions".
La France et l'Allemagne ont également plaidé pour une désescalade après que Bahreïn et le Soudan ont annoncé, eux aussi, la rupture de leurs relations avec l'Iran. Les Emirats ont, pour leur part, réduit leurs liens avec Téhéran.
La nouvelle crise a éclaté samedi avec l'exécution par Ryad du dignitaire chiite Nimr el-Nimr, critique du pouvoir saoudien, avec 46 autres personnes condamnées pour "terrorisme", dont la majorité pour des attentats attribués au réseau extrémiste sunnite Al-Qaïda.
Cette exécution a provoqué une guerre de mots entre Téhéran et Ryad et des manifestations de colère parmi la communauté chiite dans plusieurs pays, dont l'Iran où les représentations saoudiennes ont été attaquées, l'Irak, le Liban, Bahreïn, ainsi que le Pakistan et le Cachemire indien.
Dimanche soir, l'Arabie saoudite a annoncé "la rupture de ses relations diplomatiques avec l'Iran et exigé le départ sous 48H des membres de la représentation diplomatique iranienne".
"Complot" lié au pétrole
Téhéran a rétorqué en accusant Ryad de chercher à aggraver les "tensions" au Moyen-Orient et en affirmant que la rupture des relations n'effacerait pas "l'erreur stratégique" qu'a été l'exécution de cheikh Nimr. Lundi encore, environ 3.000 personnes ont manifesté à Téhéran, huant la famille sunnite régnante en Arabie saoudite.
Moins de 24 heures après l'annonce saoudienne, le Bahreïn, dirigé par une dynastie sunnite qui entretient des liens étroits avec Ryad, a lui aussi rompu ses relations avec l'Iran et demandé à tous les diplomates iraniens de quitter le royaume "sous 48 heures". Une décision similaire a été prise par le Soudan, alors que les Emirats Arabes Unis ont seulement annoncé le rappel de leur ambassadeur à Téhéran et la réduction des liens diplomatiques.
Les réactions virulentes de l'Iran à l'exécution et les attaques de représailles de manifestants contre l'ambassade saoudienne à Téhéran, partiellement détruite, et le consulat dans la ville iranienne de Machhad ont provoqué l'ire de Ryad. Le guide suprême d'Iran, Ali Khamenei, avait déclaré dimanche "que la main divine vengerait" le cheikh exécuté par les dirigeants saoudiens.
Lundi, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a fustigé l'Arabie saoudite, premier exportateur mondial de brut, pour "(...) avoir comploté en vue de faire baisser les prix du pétrole". L'Iran accuse Ryad d'avoir joué un rôle primordial dans la baisse des prix du pétrole en maintenant un niveau de production très élevé.
Attaques en IrakEn Irak voisin, pays à majorité chiite, deux mosquées sunnites ont été visées par des attentats (1 mort) et le muezzin d'une troisième abattu, faisant craindre une résurgence des violences intercommunautaires.Les autorités irakiennes ont accusé des "éléments infiltrés" d'avoir perpétré ces attaques "pour raviver les violences entre chiites et sunnites", alors que de nouvelles manifestations anti-saoudiennes sont prévues dans le pays.
Cheikh Nimr avait été condamné à mort en 2014 pour "terrorisme", "sédition", "désobéissance au souverain" et "port d'armes". Il avait été la figure de proue de la contestation qui avait éclaté en 2011, dans la foulée du Printemps arabe, dans l'est saoudien où vit la minorité chiite qui se plaint de marginalisation.
Le frère du cheikh, Mohammed, a "condamné" les attaques contre les représentations saoudiennes et a par ailleurs demandé que le corps de son frère soit rendu à la famille.
La crise diplomatique a même touché le sport, les clubs saoudiens participant à la Ligue des champions d'Asie ayant demandé à jouer contre les clubs iraniens en terrain neutre et non en Iran.
Les relations entre Ryad et Téhéran évoluent en dents de scie depuis la révolution islamique iranienne de 1979. Les deux puissances sont le plus souvent en désaccord sur les crises dans la région et s'accusent mutuellement de chercher à élargir leur influence. Elles avaient rompu leurs relations de 1987 à 1991, après de sanglants affrontements entre pèlerins iraniens et forces saoudiennes lors du Hajj à La Mecque en 1987.
Pour les experts, la nouvelle crise risque d'alimenter les guerres par procuration que se livrent actuellement Téhéran et Ryad, notamment en Syrie et au Yémen.