Organisé par le gouvernorat d'Al-Ula, où les tombes et l'art nabatéen sont ciselés dans des roches couleur caramel, "Winter at Tantora" est le dernier festival musical qui se tient dans le royaume conservateur où de tels événements étaient inconnus il y a seulement deux ans.
Répartis sur huit week-ends, jusqu'au 9 février, les principaux spectacles se déroulent dans un auditorium en verre qui a attiré des artistes internationaux, de la chanteuse libanaise Majida El Roumi au violoniste français Renaud Capuçon.
Ce festival met en lumière une région longtemps isolée, considérée comme un musée en plein air. "L'Arabie saoudite tourne une nouvelle page", affirme Zainab al-Kadadi, une banquière de 29 ans basée à Ryad. Elle a assisté à un week-end musical qui comprenait également la visite d'une gare de l'ère ottomane et la conduite sportive de véhicules tout terrain à travers des dunes.
Le festival est considéré comme une ouverture progressive d'Al-Ula, région de la taille de la Belgique présentée comme la pièce-maîtresse des attractions saoudiennes, alors que l'Etat pétrolier cherche à faire venir des touristes internationaux en grand nombre.
Construire une industrie touristique à partir de rien est au coeur d'un plan gouvernemental visant à préparer la plus grande économie du monde arabe à l'ère post-pétrolière. Le royaume, qui interdit l'alcool et impose de stricts codes sociaux, est considéré par beaucoup comme une destination touristique improbable.
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Les récents événements, qui ont suscité l'indignation internationale, notamment l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, la répression de toute dissidence et l'intervention militaire au Yémen, semblent avoir rendu le défi encore plus difficile. "L'Arabie saoudite a un grand potentiel touristique mais, après ce qui s'est passé, il est difficile de venir ici et de dire: +Tout va bien, tout est incroyable+", déclare un Occidental qui faisait partie d'un groupe d'influenceurs invités par le royaume pour un voyage à Al-Ula tous frais payés.
"Quand je suis allé chercher mon visa, mes amis plaisantaient: +J'espère que tu reviendras vivant+".
L'assassinat le 2 octobre de Jamal Khashoggi, dont le corps a été démembré par des agents saoudiens au consulat du royaume à Istanbul, a déclenché de vives polémiques qui ont terni l'image de Ryad.
Si Al-Ula était dans un autre pays, ce serait plus facile à vendre, suggèrent d'autres membres du groupe. "Le plus grand obstacle, ce sont les stéréotypes", explique Kyle Mijlof, un photographe âgé de 30 ans originaire du Cap.
Une campagne de libéralisation menée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, a conduit à l'ouverture de cinémas et à l'organisation de concerts et d'événements sportifs internationaux.
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Bien qu'il n'ait pas encore offert de visas touristiques, le royaume a accéléré l'obtention de permis électroniques permettant aux visiteurs d'assister au festival. Il a organisé un processus similaire en décembre pour un événement de sport automobile à Ryad où des performances d'artistes comme Enrique Iglesias et David Guetta ont été proposées. "Nous vivons dans une Arabie saoudite où, le jour, on peut dire aux enfants que la musique est interdite mais, la nuit, on les emmène à des concerts", ironise un artiste saoudien.
Dans un pays où les deux tiers de la population ont moins de 30 ans, la multiplication des divertissements permet aux citoyens d'atténuer des frustrations liées au ralentissement économique et à l'augmentation du chômage des jeunes. MBS a peut-être épousé l'expression de la Rome antique "Du pain et des jeux" pour que ses citoyens "acceptent plus facilement" l'ordre des choses, indique Cinzia Bianco, de Gulf State Analytics.
Les préparatifs du festival d'Al-Ula se sont "accélérés" après le début de l'affaire Khashoggi, les autorités ayant vite cherché à tourner la page, affirme à l'AFP un consultant occidental proche des organisateurs.
Un fonctionnaire a nié qu'il s'agissait d'une tactique de diversion, affirmant que la planification du festival était en cours bien avant l'assassinat. L'Arabie saoudite cherche à préserver des sites du patrimoine antérieurs à la vie du prophète Mahomet au VIIe siècle. Des sites ont longtemps été négligés ou vandalisés, car leur glorification est considérée comme blasphématoire par des religieux conservateurs.
Avec l'appui de la France à Al-Ula, des équipes archéologiques entreprennent une étude massive des sites clés, qui comprend des prises de vues notamment par hélicoptère, satellite et drone. Des hôtels cinq étoiles sont prévus pour accueillir des milliers de touristes et des résidents locaux sont formés comme guides.
Al-Ula devrait s'ouvrir pleinement aux touristes étrangers d'ici trois à cinq ans, déclare à l'AFP un responsable de la Commission royale d'Al-Ula. "Pendant des années, nous avons été présentés comme des gens ayant des piscines d'essence" chez eux, dit ce fonctionnaire. "Nous sommes en train de changer ce récit. Ce (projet) est une question de fierté nationale".