Pierre Vermeren: ce qui change avec les manifestations anti-Bouteflika en Algérie

Pierre Vermeren, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Pierre Vermeren, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. . DR

Le mécontentement des Algériens face à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat n'est pas une nouveauté, estime Pierre Vermeren, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mais l'ampleur des manifestations et leur caractère politique sont inattendus.

Le 26/02/2019 à 11h38

Pouvait-on s'attendre à ce qu'il se passe en Algérie?Le fait que les Algériens soient mécontents de la situation, on le savait, et des manifestations en Algérie, depuis le printemps arabe, il y en a tous les jours, dans tout le pays.

La population algérienne, et notamment les étudiants, sont très habitués à manifester. Ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel, et plus on s'éloigne des années de la décennie noire, plus cela paraît normal. Mais ce sont des manifestations locales, dans des entreprises, dans des universités, dans de petites villes, dans une administration...

Là, ça prend une ampleur nouvelle parce que c'est dans la capitale, dans beaucoup de villes à la fois, et ça a une dimension nationale, et les objectifs politiques concernent directement la tête de l'Etat. C'est ça qui est nouveau.

Avec le recul, cependant, c'est dans l'ordre des choses: les printemps arabes ont changé la donne. La population a moins peur, elle s'exprime, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans la rue, à travers des grèves ou des manifestations.

Existe-t-il un risque de violence ou de "dérapages dangereux", comme l'a évoqué le Premier ministre algérien?On n'en sait rien! La réponse est entre les mains des Algériens, nous ne sommes que des observateurs. Il est certain que les autorités n'ont pas envie que ça dérape, elles ont envie de poursuivre le processus qui est en cours, c'est-à-dire la réélection du président Bouteflika.

Quelle est la détermination des manifestants?C'est difficile à dire. Pour l'instant la situation n'est pas violente, les manifestants se sont donnés des consignes d'ordre, de propreté, d'absence d'affrontement.

Ce sont des manifestations qui mettent dans la rue une partie de la jeunesse avec un objectif assez simple: le refus de ce 5e mandat. Et ils savent très bien que la violence probablement n'amènerait rien, en tout cas que c'est un risque. Il y a des précédents qui prouvent que les autorités peuvent avoir la main lourde.

Évidemment il peut y avoir des provocations ou des débordements, comme dans tous les mouvements de foule, mais pour l'instant tout le monde a intérêt à l'éviter, que ce soient les autorités ou les manifestants.

Mais tout incident violent quelque part pourrait avoir des répercussions. Et le savoir-faire des autorités algériennes n'a strictement rien à voir avec ce qui s'était passé en Tunisie en 2011 par exemple.

On se souvient des manifestations au moment des Printemps arabes en Algérie: elles avaient été noyées dans des masses et un personnel sécuritaire extrêmement nombreux, qui peut très bien endiguer des manifestations. On verra.

Quel peut être le scénario à court terme?C'est une affaire algéro-algérienne, et personne n'a rien à dire et ne veut rien dire, surtout en France. Mais il pourrait se jouer quelque chose autour de l'examen des candidatures le 10 mars. Une stratégie alternative, mais qui n'empêcherait pas le président Bouteflika de se présenter, ce serait de laisser concourir d'autres candidats. On a parlé de la candidature de Nekkaz (homme d'affaires et candidat déclaré, NDLR), j'imagine qu'il y en a d'autres...

A cette occasion, quel message va être envoyé? Il y a une petite bataille à court terme et c'est la question du 10 mars: combien de candidatures, et lesquelles, seront autorisées.

Le 26/02/2019 à 11h38