Les annonces du comité Nobel norvégien chaque année en octobre --vendredi prochain pour l'édition 2017-- sont généralement suivies de protestations plus ou moins tonitruantes, voire de débats enfiévrés. Rares sont les prix qui font l'unanimité. Aung San Suu Kyi était de ceux-là.
Nobélisée en 1991 pour sa résistance pro-démocratique face à la junte militaire, la frêle "Dame de Rangoun" a longtemps été sanctifiée. Devenue la femme forte de Birmanie, elle est désormais vertement critiquée pour son inaction dans le traitement de la minorité musulmane rohingya, victime d'un "nettoyage ethnique" selon plusieurs dirigeants.
"Je suis déçu", confie à l'AFP Geir Lundestad, influent secrétaire du comité Nobel entre 1990 et 2014. "Aung San Suu Kyi était une lauréate extrêmement populaire et méritante, héroïque vu les circonstances, mais je ne peux cautionner son comportement vis-à-vis des Rohingyas".
Près de 430.000 personnes ont signé une pétition en ligne pour réclamer la révocation du prix et plusieurs autres poids lourds de la famille Nobel --Desmond Tutu, Malala et le dalaï lama-- l'ont publiquement interpellée. "C'est dramatique", note l'historien du Nobel, Asle Sveen. "Qu'une personne qui a tant lutté pour la démocratie et été si longtemps populaire se retrouve dans une telle situation, c'est inaccoutumé".
Inaccoutumé, mais pas sans précédent... Si Suu Kyi était sans doute la plus brillante d'entre elles, d'autres étoiles Nobel ont pâli avec le temps.À commencer par l'ex-président américain Barack Obama, "le cas le plus similaire" selon Sveen. Sa distinction en 2009, neuf mois à peine après sa prise de fonctions, avait certes été accueillie avec incrédulité mais il était encore au faîte de sa popularité.
Huit ans plus tard, de nombreuses voix continuent de s'élever, notamment sur les réseaux sociaux, pour que le prix lui soit retiré. "C'était impossible pour quiconque d'être à la hauteur des attentes. Elles étaient totalement irréalistes", dit aujourd'hui Lundestad. "Je ne crois pas que le comité s'attendait à ce qu'Obama révolutionne totalement la politique internationale: il ne s'agit pas de tout transformer, mais de faire des pas dans la bonne direction".
D'autres lauréats ont été accusés de flagrants faux pas.
L'ex-chef historique du syndicat Solidarité, Lech Walesa, prix Nobel 1983, est l'objet d'allégations persistantes selon lesquelles il aurait collaboré avec les services secrets communistes. Rejetant ces accusations, il a menacé en 2009 de quitter la Pologne et de rendre ses récompenses.
Longtemps avant lui, le pacifiste italien Ernesto Moneta a été tancé pour avoir soutenu l'entrée en guerre de son pays contre l'Empire ottoman en 1911, quatre ans après avoir reçu le Nobel.
Proche amie d'Alfred Nobel --qu'elle intéressa à la cause pacifique--, l'Autrichienne Bertha von Suttner, elle-même lauréate en 1905, "proposa que Moneta perde son prix Nobel de la paix et ses titres dans le mouvement pacifique", rappelle l'historien Ivar Libaek dans l'ouvrage collectif "Cent ans pour la paix".
À deux reprises dans l'après-guerre, le prix Nobel est si explosif que certains de ses cinq membres démissionnent. L'un en 1994 pour protester contre la distinction du Palestinien Yasser Arafat aux côtés des Israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin un an après la signature des accords d'Oslo. Deux autres en 1973 quand le duo Henry Kissinger-Le Duc Tho est couronné pour la conclusion d'une trêve, éphémère, au Vietnam. À chaque fois la polémique se prolonge.
"Il a eu le Nobel mais il l'a déshonoré. Qu'il le rende ou pas n'a pas d'importance, il doit se brûler la main quand il le touche", peste en 2009 un ex-membre du comité Nobel, Berge Furre, au sujet de Peres. L'ex-Premier ministre israélien, alors devenu président, avait défendu une attaque israélienne qui avait fait une quarantaine de morts dans une école de Gaza.
Alors que Le Duc Tho, chef de la délégation vietnamienne, a d'emblée décliné le prix, Kissinger renonça à aller chercher le sien à Oslo par crainte de manifestations massives. En 1975, il proposa même de le restituer. Refus du comité. Les statuts de la Fondation Nobel ne le prévoient pas. De même qu'ils ne permettent pas la révocation d'un prix.
"Aucun des lauréats Nobel n'est parfait", estime Lundestad. "Beaucoup d'entre eux ressentent sans doute une responsabilité supplémentaire d'être exemplaires mais, une fois le prix donné, le comité ne peut de toute façon rien faire"...