Meurtre de Khashoggi: Arabie saoudite et Turquie se disputent les suspects

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Les suspects du meurtre de Khashoggi seront "poursuivis en Arabie saoudite", affirment les autorités de ce pays. La Turquie demande leur extradition.

Le 27/10/2018 à 08h38

Le parquet turc a lancé une procédure d'extradition contre 18 Saoudiens soupçonnés d'implication dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul. Les suspects du meurtre de Khashoggi seront "poursuivis en Arabie saoudite", affirment les autorités de ce pays, en guise de réponse.

Deux jours avant la venue en Turquie du procureur général saoudien, le parquet d'Istanbul a remis vendredi les noms des 18 suspects soupçonnés "d'implication dans ce meurtre prémédité" au ministère de la Justice. Ce ministère a indiqué dans un communiqué qu'il les avait à son tour transmis au ministère des Affaires étrangères pour que la demande d'extradition soit adressée à Riyad par les canaux officiels.

Le 20 octobre, les autorités saoudiennes avaient annoncé avoir interpellé 18 personnes -- 15 membres d'un commando saoudien soupçonné d'avoir tué le journaliste, ainsi que trois employés du consulat -- et qu'elles seraient jugées. Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait appelé mardi dernier au jugement de ces suspects à Istanbul et non pas en Arabie saoudite, même si le crime a été commis par des Saoudiens dans l'enceinte d'un consulat saoudien. "La demande d'extradition est motivée par le fait que Jamal Khashoggi a été tué en Turquie par des ressortissants saoudiens qui ont fait le voyage à cette fin spécifique", a indiqué un haut responsable turc sous couvert d'anonymat.

Erdogan a indiqué plus tôt que le procureur général saoudien, Saoud ben Abdallah Al-Muajab, était attendu ce dimanche à Istanbul pour des entretiens sur l'enquête sur le meurtre de Khashoggi. Cette annonce survient après que ce procureur, se fondant sur des informations fournies par la Turquie, a évoqué jeudi pour la première fois le caractère "prémédité" du meurtre. Erdogan a en outre affirmé que les autorités turques étaient en possession "d'autres éléments" de preuve liés au meurtre, perpétré le 2 octobre par des agents de Ryad au consulat saoudien à Istanbul.

Le fait que Jamal Khashoggi "a été tué est une évidence. Mais où est-il? Où est son corps ?", a poursuivi le dirigeant turc, ajoutant à l'adresse de Riyad: "Qui a donné un tel ordre? (...) Il faut que les autorités (saoudiennes) l'expliquent".

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique du palais, a été tué le 2 octobre au consulat saoudien à Istanbul. Selon des responsables turcs, il a été victime d'un assassinat, soigneusement planifié, et perpétré par une équipe d'agents venus de Ryad. Après avoir nié sa mort, les autorités saoudiennes, sous la pression internationale, avaient fini par admettre qu'il avait été tué au consulat lors d'une opération "non autorisée".

La presse et des responsables turcs anonymes ont impliqué personnellement dans ce meurtre le prince héritier Mohammed ben Salmane, dit "MBS". Mais Recep Tayyip Erdogan s'est gardé à ce jour de l'accuser nommément. Les deux hommes se sont parlé au téléphone mercredi pour la première fois depuis la mort du journaliste. La fiancée turque de Khashoggi, Hatice Cengiz, a exigé dans une interview télévisée vendredi que soient punis "tous les responsables" de cette "barbarie".

Le prince héritier avait qualifié mercredi dernier d'"incident hideux" et "douloureux" le meurtre du journaliste, qui a provoqué l'indignation internationale et écorné l'image du royaume, premier exportateur de pétrole au monde. Le président français Emmanuel Macron a néanmoins estimé hier, vendredi, que "c'est pure démagogie que de dire d'arrêter les ventes d'armes" à Riyad après l'assassinat de Khashoggi, semblant rejoindre sur cette question la ligne de son homologue américain Donald Trump.

Les ventes d'armes n'ont "rien à voir avec Khashoggi, il ne faut pas tout confondre", a déclaré Macron lors d'une conférence de presse à Bratislava, avant de plaider en cas de sanctions pour "une réponse européenne, dans tous les domaines", mais "une fois les faits établis". La chancelière allemande Angela Merkel a pour sa part confirmé hier que Berlin ne fournirait pas d'armes à l'Arabie Saoudite tant que les dessous du meurtre de Khashoggi ne seraient pas éclaircis.

La ministre autrichienne des Affaires étrangères Karin Kneissl a, elle, appelé à un embargo de l'Union européenne sur les livraisons d'armes à l'Arabie saoudite. Mais elle a justifié son initiative par la guerre que mène Ryad au Yémen plutôt que par l'affaire Khashoggi, tout en condamnant ce meurtre "profondément choquant". "Avant tout, la terrible guerre au Yémen et la crise du Qatar devraient nous conduire à agir enfin d'une manière unifiée en tant qu'Union européenne vis-à-vis de l'Arabie saoudite", a déclaré Karin Kneissl dans une interview au quotidien allemand Die Welt publiée ce samedi. "Si l'UE dans son ensemble met fin aux livraisons d'armes à l'Arabie saoudite, cela pourrait participer à mettre fin au conflit", a-t-elle ajouté.

Jeudi, la directrice de la CIA Gina Haspel a présenté à Trump "ses conclusions et ses analyses de son voyage en Turquie", où elle a échangé mardi avec les responsables de l'enquête. Selon la presse turque, Ankara a partagé avec Gina Haspel des enregistrements vidéo et audio du déroulement du meurtre de Khashoggi dans le consulat.

Le 27/10/2018 à 08h38