La parabole est digne du dixit de l’année: «le puissant lien unissant la nation à l’armée n’est pas un fait récent ou conjoncturel (…), mais l’expression d’une relation existentielle divine». On la doit à l’éditorialiste galonné de la revue militaire algérienne El Djeich. Peut-être que du grillage de sa caserne, le plumitif des généraux voit Dieu habillé en treillis, kalachnikov en bandoulière et drapeau algérien en bandana… C’est à peine s’il n’a pas osé consacrer en prophète le chef suprême des armées, Abdelmadjid Tebboune, dont le peuple attend ce miracle: le voir debout, et, en tant que compagnon de ce prophète, le chef d’état-major, Saïd Chengriha… que Dieu le remette sur la bonne voie!
En tout cas, l’auteur des lignes susmentionnées semble vivre sur une autre planète, ou planer à coup de psychotropes bon marché, Made in Algeria. Il était visiblement sur une autre fréquence quand la rue algérienne grondait, chaque vendredi, pendant près d’une année, son «attachement» à cette armée algérienne, (in)digne héritière de l’Armée nationale populaire. «Un Etat civil, pas un Etat militaire!», «les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance!», voilà quelques-uns des slogans favoris des Hirakistes, qui exprimaient haut et fort une «relation existentielle (…) qui n’aura de cesse de s’enraciner et de s’approfondir davantage», pour reprendre l'expression du plumitif galonné d'El Djeich.
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Ces expressions de (dés)amour de la rue algérienne ont pourtant entraîné bien des réactions hystériques chez les généraux algériens, à chaque fois qu’elles ont été dévoilées au grand jour. Quand deux chaînes de télévisions françaises ont diffusé, en mai dernier, des documentaires traitant du mouvement contestataire, la réaction du régime a été d’une ampleur inouïe. L’ambassadeur algérien à Paris a même été rappelé en consultation, créant un précédent diplomatique jamais encore observé entre les deux pays, depuis les années 90 du siècle dernier.
De même, lors du vote par le Parlement européen, en novembre dernier, d’une résolution en urgence dénonçant la détérioration des libertés en Algérie, les galonnés du régime vert-kaki avait considéré comme des blasphèmes les vérités des eurodéputés, qui pointaient la responsabilité de l’armée dans la répression du Hirak, et qui rappelaient la nécessité pour les autorités algériennes de «garantir à la fois une pleine reddition des comptes et un contrôle démocratique et civil des forces armées, ainsi que la subordination effective de ces dernières à une autorité civile légalement constituée, et à faire en sorte que le rôle de l’armée soit correctement défini dans la constitution et explicitement limité aux questions touchant à la défense nationale».
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Ces appels à l’instauration d’un Etat civil en Algérie restent, aujourd'hui, encore plus présents que jamais. La population observe, à l’œil nu et au quotidien, la dégradation de la situation socio-économique du pays et les restrictions de libertés favorisés par les mesures liées à la pandémie du Covid-19. Une crise face à laquelle le régime vert-kaki démontre jour après jour ses pratiques de gestion, consistant à laisser faire son «pouvoir divin», c'est à dire, en fait, une approche d’omerta et de répression. Bref, un synonyme clair d’incompétence, dans le langage pragmatique et intelligible d’un Etat moderne.
Il est très peu probable que le décret d’une armée algérienne de droit divin puisse lui garantir des fidèles parmi le peuple. L’éditorial de la revue de l’armée algérienne a au moins ce mérite de nous instruire sur la crise de confiance, profonde, entre l’armée et le peuple algérien. Les appels à répétition d’un «front interne», en brandissant chaque jour de multiples menaces et périls qui pèsent sur le pays ont fait chou blanc. C’est donc en dieux, et parés de leurs plus beaux atours, que les généraux ont décidé de s'ériger sur un piédestal. Leur statue risquent toutefois d’être déboulonnée dès la prochaine sortie du Hirak.
Il leur reste une seule chance: celle d’une prière de communion avec le peuple à la grande mosquée d’Alger. Mais tout le monde sait que les ces nouvelles «divinités algériennes» ne sont vraiment pas en odeur de sainteté à cette mosquée, immense édifice religieux qui a refusé, jusqu'ici, le droit d'y prier aussi bien à l’ancien, qu'à l'actuel, chef suprême des forces armées algériennes.