Les généraux algériens ont finalement décidé de mettre en joue les manifestants pacifiques du Hirak. Leur menace de réprimer plus violemment les marches du mardi et du vendredi transparait clairement entre les lignes du dernier communiqué de la présidence algérienne, publié à l’issue de la réunion, mardi dernier, du Haut conseil de sécurité algérien. (HCS), «consacrée à l'évaluation de la situation générale du pays sur les plans politique et sécuritaire».
En d’autres termes, Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, le général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne, le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, les ministres de la Justice, de l’Intérieur, de l’Economie et des Affaires étrangères, tous membres de ce comité restreint, ont planché sur la manière de briser le Hirak.
Ils ont ainsi décidé en premier lieu, et malgré la leçon de l’échec cinglant du référendum constitutionnel de novembre 2020, où les quatre-cinquièmes des inscrits sur les listes électorales n’ont pas voté, de maintenir les élections législatives du 12 juin prochain, refusées par le Hirak. Le HCS a même insisté sur «l'impératif de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la réussite de cette échéance».
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Et quelles seront ces mesures, alors que deux mois seulement séparent les Algériens de ces élections qu’ils comptent boycotter massivement? Faut-il s’attendre à des arrestations massives dans les artères de toutes les grandes villes du pays, très probablement dès ce 112e vendredi du Hirak, pour stopper net la contestation populaire qui revendique la démocratie? En tout cas, le Haut conseil de sécurité se dit déterminé à mettre fin à ce qu’il appelle les «actes subversifs» et «graves dérapages émanant de milieux séparatistes et de mouvances illégales proches du terrorisme, qui exploitent les marches hebdomadaires» du Hirak.
Après les machinations sur la présumée menace terroriste à travers la sortie médiatique du faux terroriste Abou Dahdouh, ou encore l’hystérique agitation du spectre de prétendus dangers que fait peser la main de l’étranger sur l’Algérie, le HCS brandit aujourd’hui l’épouvantail du séparatisme et de l’islamisme. En ligne de mire les militants de Kabylie que le pouvoir soupçonne d’appartenir au Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) de Ferhat Mehenni et le mouvement Rachad, dont personne n’avait entendu parler il y a deux ans, et que le régime considère comme une nébuleuse islamiste aux tentacules bien enracinées dans le pays.
Les slogans du Hirak n’ont pourtant rien de régionaliste ou d’islamiste. «Istqlal, istiqlal», (indépendance, indépendance) que scandent les manifestants chaque semaine, ne concerne en rien un quelconque séparatisme, mais appelle à la fin de la colonisation de l’Algérie par une poignée de généraux de l’armée, au pouvoir depuis 1962, mais également à sauvegarder l’unité du pays dans toute sa diversité identitaire et idéologique.
C’est d’ailleurs, parce que les généraux sont désormais nommément cités par le Hirak et appelés à dégager pour laisser place à un Etat civil et non militaire, qu’ils dégainent aujourd’hui à travers le communiqué attribué à Tebboune.
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«Le président de la République a affirmé que l'Etat sera intransigeant face à ces dérapages, qui sortent du cadre de la démocratie et des droits de l'homme, donnant instruction pour l'application immédiate et rigoureuse de la loi en vue de mettre un terme à ces activités non innocentes et à ces dépassements sans précédent, notamment à l'égard des institutions et symboles de l'Etat, et qui tentent d'entraver le processus démocratique et développemental en Algérie», menace ce communiqué.
Même si le média du général Khalid Nezzar exulte déjà en annonçant que «c’est la fin de la récréation» pour le MAK et les islamistes de Rachad, il faut reconnaitre que ce sont surtout les récents slogans du Hirak qui ont fait réagir le HCS.
Ces slogans anti-généraux, et en particulier celui de «Moukhabat irhabya, tasqott almafia alaskaria» (services de renseignements terroristes, à bas la mafia militaire), ont commencé à faire florès depuis l’éclatement du scandale du viol de l’étudiant Walid Nekkiche dans les locaux des services de renseignements algériens. Scandale qui a aussi contribué à la reprise en force du Hirak après une année de pause à cause de la pandémie de coronavirus.
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Rien que pour les deux derniers vendredis du Hirak, les généraux les plus en vue du «système» ont été copieusement hués par les manifestants.
Ainsi, lors du 110e vendredi (26 mars), après le slogan-phare de «Dawla madania, machi askaria», les grandes villes d’Algérie ont vibré au son de: «Généraux yal khawana, wallah mana habssine, klito leblad» (Généraux, ô traitres, on jure par Allah qu'on ne s'arrêtera jamais. Vous avez mangé le pays...». «Ya Chengriha daz maâhoume, yatnahaw gaâ ou ntaya maâhoume" (Chengriha, pousse avec eux. Qu'ils soient tous écartés, et toi avec eux). Ou encore : «Oulbareh maâ Toufik, désolé, désolé, kantou tbhou Lrachi inani, inani» (Hier avec Toufik, désolé, désolé, vous égorgiez les gens sans même chercher à vous cacher).
Idem pour vendredi dernier: «Stine sna faranssia ya oulad Bigeard/ Hbinaha Jazayrya, dégage dégage/mazal wakfine ya issaba ounjibou hak chouhadas/ Makan hbssouch, makan hbssouch» (soixante années sous domination française, enfants de Bigeard/ Nous les voulons algériennes, dégage, dégage/ Oh la bande, nous sommes encore debout et nous obtiendrons réparation pour les martyrs de la guerre de libération/ On ne s'arrêtera jamais, on ne s'arrêtera jamais). Sans parler de ce slogan fort : «had chaab la yourid hokm alaskar» (ce peuple ne veut pas d'un pouvoir militaire).
Le pire pour ces généraux, c’est que samedi dernier, un nouveau scandale d’agression sexuelle a éclaboussé la police algérienne et mis en colère l’opinion publique locale. Celui de l’affaire Saïd Chetouane, un jeune manifestant de 15 ans qui affirme avoir été victime d’agression sexuelle, d’attouchements et de tentative de viol de la part de policiers, après son arrestation lors d’une manifestation organisée le samedi 3 avril.Ce scandale risque de mettre le feu aux poudres vendredi prochain, ce qui explique la convocation d’urgence du HCS dès l’éclatement de cette affaire.