Loin d’être une surprise électorale, le score record du Rassemblement national (RN) au premier tour des législatives françaises, avec plus de 33% des voix, vient confirmer la récente victoire du même parti aux élections européennes, avec un score quasi similaire de 31%.
Loin d’être anodines, ces victoires relatives s’inscrivent dans une dynamique de fond que connaît le continent européen depuis la crise de 2008, et a fortiori depuis celle des dettes souveraines et de l’euro en 2011. Les partis dits d’extrême droite, autant que ceux d’extrême gauche, ne cessent depuis de conquérir de nouveaux électorats qui pendant longtemps leur étaient interdits.
Ainsi, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Italie, de la Grèce ou de la France, les modalités et les mécanismes sont certes différents, mais la dynamique de fond est la même. Celle d’une mise à mort graduelle du clivage gauche-droite, qui était en sursis depuis l’effondrement du bloc communiste. Aujourd’hui, une nouvelle réalité politique, avec de nouveaux clivages, commence à émerger sur le Vieux continent.
Aujourd’hui, le clivage «gauche bobo / droite bourgeoise et affairiste», cède le pas au clivage «extrême gauche / extrême droite», ou pour le dire autrement, loin de tout anathème, le clivage «gauche altermondialiste / droite identitaire».
Et pour se maintenir au pouvoir, les différents clans oligarchiques ont dû emprunter des éléments de langage aux deux extrêmes, afin de tenter de maintenir dans leurs rangs des électorats aux aspirations de plus en plus antagonistes. Résultat des courses, à force de vouloir plaire à tous, on finit par décevoir tout le monde. Mais ça, c’est une autre histoire.
Revenons maintenant au RN.
Longtemps mis au ban des cercles effectifs du pouvoir, le Front national fut souvent utilisé comme épouvantail lors du second tour des élections présidentielles. Car en invoquant la menace fasciste, le candidat en face avait la garantie totale de gagner. À tel point que tous les candidats pouvant atteindre le second tour souhaitaient de toute leur âme se retrouver face au candidat FN. En face, Jean-Marie Le Pen, principal fondateur et actuel président honorifique du FN, jouissait de ce statut de paria politique, et s’en amusait même, car n’ayant jamais réellement voulu prendre le pouvoir. Cette posture a longtemps condamné le parti à un rôle d’opposition sans aucune perspective d’en sortir.
Pour changer la donne, Marine Le Pen, devenue présidente du FN en 2011 en lieu et place de son père, a entamé une vraie révolution de palais contre son propre géniteur, qui aurait très bien pu prononcer à l’image d’un César poignardé par Brutus: «Tu quoque mi fili? / Toi aussi mon fils?».
Par la suite, on a vu que, pour pouvoir intégrer ce qui est communément appelé l’arc républicain, le FN a démontré qu’il était capable non seulement d’avaler des couleuvres, mais aussi de changer du tout au tout les fondamentaux de son programme politique. En 2017, il était contre l’euro et pour le Frexit. En 2022, plus un mot à ce sujet. Avant février 2022, la Russie était son soutien, pas seulement moral, mais aussi financier, et lui servait d’inspiration politique. Après 2022, la Russie devient pour lui un paria, et sa nouvelle figure d’inspiration identitaire devient le nationalisme ukrainien.
Tout cela ne révèle qu’une chose: que le FN, ou le RN, ou peu importe comment on l’appellera à l’avenir, n’est au fond qu’un parti politique comme les autres. Animé par les mêmes instincts, les mêmes ambitions et la même souplesse politique quand la situation l’exige.
Seule constante dans son discours: sa volonté de mettre fin à l’actuelle politique migratoire en France, qui, admettons-le, est problématique par bien des aspects.
Mais admettons que le RN obtienne la majorité absolue et que Bardella devienne Chef du gouvernement. Qu’est-ce que cela impliquera?
Pas grand-chose. Car rappelons que le système politique français, contrairement à celui de l’Italie, n’est pas un régime parlementaire, mais un régime présidentiel fort, et ce, depuis la Vème République instaurée par le général de Gaulle. Certains parlent même de «monarchie élective». Dans ce contexte, malgré une Assemblée nationale hostile, le Président jouit toujours de très larges prérogatives. D’autant plus que, dans le cas d’espèce, il s’agit d’un président qui conclut son deuxième mandat et qui n’a donc pas d’enjeu ni de visée électorale, puisque la durée maximale est de deux mandats consécutifs.
De même, en faisant pleinement partie de l’Union européenne, la France ne possède presque plus aucun des moyens effectifs de souveraineté. La monnaie est européenne. Les frontières aussi. Quant à la loi, le principe de subsidiarité fait que les lois votées au Parlement européen ont la prééminence sur celles votées à l’Assemblée nationale.
Finalement, qu’il s’agisse du RN, de LFI ou de n’importe quel parti, la logique profonde demeure la même, à savoir composer avec le réel pour accéder au pouvoir et s’y maintenir le plus longtemps possible. Tout le reste n’est que déguisement.
Et à ce que je sache, le RN n’a jamais été au pouvoir. Donc, pour trouver ceux qui sont à l’origine du déclassement actuel de la France et de sa tiers-mondisation, c’est davantage du côté des socialistes et de la droite affairiste qu’il faut chercher, plutôt que du côté du RN qui, jusqu’à présent, n’a jamais connu le baptême du feu, celui du vrai pouvoir en France.