L’Afrique subsaharienne a été progressivement investie par l’Iran et son allié paramilitaire, le Hezbollah libanais, depuis la révolution iranienne de 1979. Cette présence s’est manifestée par des relations clandestines terroristes et des réseaux de financement occulte. Parallèlement, le régime de Khomeiny envoyait des clercs missionnaires en Afrique par le biais du ministère iranien de l’Orientation islamique, afin de faire advenir Wilaya-el-Faqih (Gouvernement mondial du juriste). La présence de «centaines d’étudiants originaires du Ghana, du Mali, de Mauritanie, du Nigeria, du Niger et du Sénégal» a été signalée en Iran dès les années 1980 par la CIA. Un chef religieux comme le nigérian Ibrahim Zakzaky, inspiré par Khomeini, a pu fonder au Nigeria un mouvement chiite militant à cette époque, marquant le début et le tout premier ancrage idéologique iranien en Afrique subsaharienne.
Découvertes de cellules terroristes et trafics d’armes
Trente ans plus tard, en octobre 2010, les services nigérians ont saisi, dans le port de Lagos, 13 conteneurs étiquetés «matériel de construction» qui dissimulaient en réalité un arsenal: des roquettes de 107 mm, des obus de mortier, des grenades et des munitions lourdes. Une prise considérable, mais c’était l’arbre qui cachait la forêt dans une Afrique déjà rongée. L’enquête allait révéler que le cargo venait du port iranien de Bandar Abbas et qu’un officier des Gardiens de la Révolution, Azim Aghajani, était impliqué dans l’opération. Selon les renseignements occidentaux, la destination finale de ces armes était la rébellion du Casamance au Sénégal voisin (Reuters). Dakar, furieux, avait rappelé son ambassadeur de Téhéran, puis avait carrément rompu ses relations diplomatiques en février 2011 avec l’Iran lorsque des soldats sénégalais avaient été tués au combat par des rebelles possédant des armes d’origine iranienne. Le Nigeria avait pu démanteler trois ans plus tard, en mai 2013, la principale cellule liée au Hezbollah sur son territoire qui alimentait la guerre civile au Sénégal, arrêtant trois hommes d’origine libanaise et mis au jour un véritable dépôt d’armes clandestin, dont des lance-roquettes antichar, caché dans un bunker (Al Jazeera).
De même, en 2012, au Kenya, deux Iraniens – Ahmad Abolafathi et Seyed Mansour – ont été arrêtés à Nairobi en possession de 15 kg d’explosifs (du RDX) qu’ils avaient dissimulés dans un golf de Mombasa. Un tribunal kényan les a condamnés à la prison à vie en 2013 pour «complot terroriste au profit de la Force al-Qods» (unité des Gardiens de la Révolution). Téhéran a toujours nié tout lien avec les terroristes, mais bizarrement, a exercé des pressions considérables pour leur libération, en vain (Abc News). Ces incidents au Kenya s’inscrivaient dans une série de tentatives d’attentats attribuées à l’Iran en 2012. Par la suite, en novembre 2015, deux ressortissants kényans chiites sont arrêtés à Nairobi, recrutés selon les autorités «au sein d’un réseau d’espionnage iranien» et envoyés en Iran pour y recevoir des instructions en vue de préparer des attaques sur le sol kényan (Arab news).
En 2018, un diplomate iranien en poste à Vienne (Assadollah Assadi) a été arrêté pour avoir fomenté des attentats contre plusieurs pays européens depuis un pays africain, où il avait voyagé pour rencontrer des agents. Parmi ses cibles figurait un rassemblement d’opposants qui s’est tenu en France cette année-là. On se souvient également qu’en 1996, le régime iranien avait fait assassiner des opposants réfugiés en Irak via le Soudan.
C’est au Soudan que seront découverts des camps d’entraînement et des usines d’armement (comme la fabrique d’armes de Yarmouk à Khartoum) mis en place par l’Iran, servant à armer des alliés régionaux. Les ports de la mer Rouge constituaient un maillon essentiel du réseau de distribution d’armes iraniennes. Notamment en arrimant ses forces navales dans les espaces maritimes et en déployant des agents du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) dans la Corne de l’Afrique. Les rebelles houthis parrainés par l’Iran au Yémen recevaient des armes d’Érythrée via la mer Rouge et de Somalie via le golfe d’Aden. Sous Omar el-Béchir, les ports soudanais de Sawakin et de Port-Soudan étaient également des destinations courantes pour les armes du Hezbollah, avec des lignes d’approvisionnement traversant le Soudan, l’Égypte et la péninsule du Sinaï.
Un autre exemple frappant en Afrique est le parrainage par l’Iran du groupe terroriste al-Shabaab, une filiale d’al-Qaïda active en Somalie et en Afrique de l’Est. Avec le soutien des agents de la Force Al-Qods du CGRI déployés en Érythrée, al-Shabaab a mené une violente insurrection contre le gouvernement central somalien au milieu des années 2000, qui devait selon la feuille de route iranienne se propager dans l’ensemble de la région.
Enfin, citons un dernier pays, la Gambie, sur une quinzaine d’États en Afrique, qui ont démantelé des cellules dormantes ou arrêté des personnes en lien direct avec l’Iran. En 2010, pas moins de 240 tonnes d’armes à destination de la Gambie avaient été saisies. L’enquête révélera que les armes étaient de fabrication iranienne et qu’elles allaient servir pour alimenter des séparatistes.
Iran: une responsabilité avérée et un financement tracé
Derrière le chaos qu’a cherché à instaurer l’Iran en Afrique, on trouve l’unité 400 de la Force al-Qods qui a fourni formation militaire, argent, armes et assistance logistique. En 2012, les États-Unis ont désigné le général Esmail Qaani comme le plus haut fonctionnaire militaire iranien commandant la section «Afrique» de la Force al-Qods. Et en 2021 un rapport du Middle East Institute, basé à Washington, confirme le rôle de l’unité 400 dans «l’organisation et la direction des éléments terroristes en Afrique». À sa tête, un commandant nommé Hamed Abdallahi est identifié dans ce rapport, en étroite coordination avec le Hezbollah.
Cette responsabilité ne va pas sans le financement clandestin. Dès les années 1980, des cellules du Hezbollah ont opéré en Afrique de l’Ouest pour lever des fonds via des activités criminelles (narcotrafic, contrebande), notamment en s’appuyant sur des familles de la diaspora libanaise, rappelle le Hudson Institute. Plus tard, les années 1990 vont marquer l’expansion de la diaspora libanaise, notamment en Afrique de l’Ouest, et la captation des réseaux financiers par le Hezbollah. Plus que toute autre partie du monde, l’Afrique se révèle une poule aux œufs d’or pour les petites affaires du «Parti de Dieu». La diaspora s’implique, selon plusieurs sources, dans le trafic de diamants de guerre (notamment durant les guerres au Libéria et en Sierra Leone), et arrive rapidement à dominer des secteurs économiques entiers dans plusieurs pays, dont l’argent va servi à financer les activités du Hezbollah dans le monde et en Afrique en particulier (ONG Counter Extremism et Reuters)
Selon cette même agence de presse, la Lebanese Canadian Bank a été épinglée en 2011 dans un vaste réseau de blanchiment impliquant le recyclage des revenus de la drogue provenant d’Afrique, dont «le Hezbollah a pu tirer des sommes substantielles». Un rapport de 2020 émanant de l’US Military Academy de West Point, considère aussi la drogue dure comme une prérogative du Hezbollah dans certains pays en Afrique, avec le trafic d’armes.
En Côte d’Ivoire, au Ghana, en Sierra Leone, au Bénin ou en Guinée, de puissantes familles d’origine libanaise ont été soupçonnées de servir d’intermédiaires financiers du Hezbollah. Elles ont contribué, volontairement ou sous pression, au financement du Hezbollah via la zakat ou d’autres levées de fonds communautaires. Selon une étude de l’Institute for Security Studies, la communauté libanaise a toujours représenté une «cible de choix dans les efforts du Hezbollah pour collecter des ressources financières supplémentaires» (cité par l’ONG Counter Extremism).
Des dizaines de pourvoyeurs de fonds du Hezbollah en Afrique
La CIA a aussi désigné quelques bailleurs de fonds africains du Hezbollah. C’est le cas de Kassim Tajideen, un homme d’affaires libanais accusé d’avoir «contribué à hauteur de dizaines de millions de dollars au Hezbollah via un réseau d’entreprises en Afrique» (Département du Trésor américain). Tajideen et ses frères (présents en Gambie, Angola et République démocratique du Congo) géraient notamment un trafic de diamants et d’autres commerces. Un autre agent, Abd al Menhem Qubaysi, basé en Côte d’Ivoire, fut identifié comme le «représentant personnel» du défunt chef du Hezbollah Hassan Nasrallah en Afrique de l’Ouest, «chargé d’organiser la collecte de fonds et la visite de cadres du Hezbollah en Afrique», toujours selon le Département du Trésor américain. Celui-ci a dressé une autre liste de quatre ressortissants libanais résidant au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Gambie et en Sierra Leone, les accusant de collecter des fonds et de recruter des membres pour le Hezbollah.
En 2017 et 2018, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ouvrent des enquêtes sur des sociétés-écrans et des commerces tenus par des Libanais suspectés de blanchir de l’argent pour le Hezbollah. Les services de renseignement occidentaux et africains coopèrent plus étroitement désormais que par le passé: en 2019, une trentaine de pays, y compris africains, se sont réunis sous l’égide des États-Unis pour coordonner l’action contre les infrastructures du Hezbollah à l’étranger. En 2021, les autorités nigérianes annoncent encore avoir démantelé des cellules dormantes liées à la fois à l’Iran et au Hezbollah et en mars 2022, la justice de Guinée a inculpé deux hommes d’affaires guinéo-libanais soupçonnés de financer le Hezbollah (RFI).
En 2024-2025, malgré des décennies de pression, le Hezbollah conserve en Afrique, et tout particulièrement en Afrique de l’Ouest, un «socle» financier solide. Selon une enquête du Monde en 2024, une majorité des commerçants et entrepreneurs de la diaspora contribuent encore «indirectement à l’effort de guerre du Hezbollah», tandis que le crime organisé (trafic de drogue, contrefaçon) permet de blanchir depuis l’Afrique des fonds au bénéfice du mouvement.
Cellules dormantes, filières d’armes et levées de fonds en Afrique ont longtemps, et discrètement, servi la cause du terrorisme iranien dans le monde.





