Mardi 8 septembre, les médias algériens ont annoncé à l’unisson la réouverture imminente en Algérie du bureau de la chaîne de télévision qatarie, Al Jazeera. Ce retour serait même accompagné d’un déroulement du tapis rouge devant la chaîne de Doha, puisque sa rivale, Al Arabiya, basée à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, pourrait se faire retirer son accréditation en Algérie, annoncent ces mêmes médias.
Même «Télé numérique», un journal exclusivement technique, dédié aux programmes, équipements et nouveautés des chaînes satellitaires mondiales, y a mis du sien. «La chaîne qatarie Al Jazeera s’apprête à revenir en Algérie. Après plus de 20 ans d’interdiction, les autorités algériennes ont répondu favorablement à sa demande d’accréditation... Par contre, le bureau de son rival saoudien, Al Arabiya, vit ses dernières heures. Sa demande d’accréditation aurait reçu un écho défavorable. Ainsi la chaîne d’information basée à Dubaï devrait plier bagage dans les jours à venir», écrit-il en substance, pour annoncer ce nouveau changement de bouquet.
Lire aussi : La Turquie remet à l’Algérie la "boîte noire" de feu Gaïd Salah, après avoir entendu ce qu'il savait
Officiellement, les autorités algériennes veulent faire croire que le retour d’Al Jazeera intervient en réaction à la décision des Emirats Arabes Unis de normaliser leurs relations avec Israël. En conséquence, Alger fait valoir ses (nouvelles) convergences de vues avec le Qatar, qui a dénoncé cet accord considéré comme «un coup de poignard dans le dos des Palestiniens», alors que la chaîne satellitaire de Doha ne rate pas une occasion pour fustiger l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis depuis que ces deux pays se sont alliés à d’autres monarchies du Golfe pour assiéger le Qatar.
En réalité, la position d’Alger a été dictée par d’autres considérations, qui n’ont rien à voir avec un quelconque soutien à la cause palestinienne. Nul n’ignore aujourd’hui que la ligne éditoriale de la chaîne d’Al Jazeera est élaborée non plus seulement à partir de Doha, mais surtout sur les bords du Bosphore. Stigmatisé par l’alliance des monarchies du Golfe, le Qatar a établi un pacte d’alliance sans faille avec la Turquie qui assure son approvisionnement en denrées alimentaires et sa sécurité.
Lire aussi : Moyen-Orient: quand l’éditorialiste Abou Wael Al Riffi corrige les approximations de Moulay Hicham
C’est donc bien sous le prisme de la Turquie qu’il convient de lire le soudain retour en grâce de la chaîne Al Jazeera en Algérie. A travers ce geste inattendu, Alger confirme ce que nombre d’observateurs ont noté depuis le décès du chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah. La Turquie de Recep Tayyip Erdogan, qui veut restaurer la grandeur de l’Empire ottoman, a une influence considérable sur le nouveau régime algérien, à tel point que certains parlent d’une nouvelle ère d’inféodation de l’Algérie à la «Sublime porte».
Les raisons de l’influence turque sont en effet multiples. Contrairement à son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, qui avait passé une partie de son exil aux Emirats et ne refusait rien aux Emiratis, le président Abdelmadjid Tebboune est plutôt proche de certains hommes d’affaires turcs et deux de ses enfants, Mohamed et Salaheddine Ilyes, entretiennent et nourrissent cette proximité, fondée sur le business.
Lire aussi : Algérie: comment Abdelmadjid Tebboune met la fonction de chef de l’État au service de ses enfants
De plus, Ankara détient désormais une carte maîtresse après avoir réussi, ces derniers mois, à s’introduire dans le «logiciel» de l’armée algérienne, véritable détentrice du pouvoir. Cet ascendant turc a été permis par le fait que le MIT, acronyme turc de l’Organisation nationale du renseignement, a fait parler l’adjudant-chef Ghermit Bounouira, ancien secrétaire particulier de feu l’ancien vice-ministre de la Défense et ancien chef d’état-major de l’armée algérienne, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah.
Exfiltré vers Istanbul par le général Wassini Bouazza, ex-patron des renseignements algériens (actuellement en prison), Bounouira aurait été pressé comme un citron, cinq mois durant, soit de mars à juillet derniers, par les hommes de Hakan Fidan, le chef des renseignements turcs, avant qu'il ne soit extradé vers Alger.
Certains médias croient savoir que l’ancien tout puissant patron de la gendarmerie algérienne, Ghali Belkecir (en fuite à l’étranger), aurait également approché les renseignements turcs. Asile politique et protection contre divulgation d’informations sur l’Algérie aurait été le deal que les deux parties ont négocié. En décrypté, cela signifie que la Turquie pourrait détenir des dossiers sensibles sur l’armée et la présidence algériennes. Il faut toujours garder à l’esprit que le secrétaire particulier et homme de confiance de Gaïd Salah avait accès à la fois aux dossiers de l’armée et aux rapports des conseils des ministres auquel participait le défunt vice-ministre de la Défense.
En tout cas, suite à ce revirement de l’Algérie, qui s’aplatit ainsi aux pieds de son ancien colonisateur ottoman, Recep Tayyip Erdogan s’est taillé sur mesure un allié docile en vue de la réalisation de ses visées en Libye en particulier, et en Méditerranée en général. D’ailleurs, un média algérien écrit que le retour à Alger d’Al Jazeera, qualifiée de «média des frères musulmans», n’est que le «reflet d’une alliance tactique avec ce conglomérat qui s’oppose, entre autres, à l’offensive militaire du maréchal Haftar en Libye». Tactique? Pas sûr. C’est désormais à un alignement contre-nature de l’Algérie sur la position turque que l’on va assister.
L’Algérie pourra toujours se consoler de son alignement contraint sur la Turquie, en comptant sur le tandem Ankara-Doha en vue d’amadouer la chaîne Al Jazeera dans son soutien, qui était sans failles, aux manifestations du Hirak dont le retour est d'ailleurs imminent.