Le porte-voix de l’armée algérienne, à savoir le mensuel El Djeïch, était très attendu ce mois de mars 2021 pour connaître la position de la grande muette sur la reprise en force du Hirak et ses appels à jeter les «généraux à la poubelle», tout en revendiquant, à travers son slogan-phare, un «Etat civil et non militaire».
Dans un éditorial ainsi qu’une chronique intitulée «Réalité de ‘Madania machi askaria’», parus dans ce mensuel du mois de mars (n° 692), l’armée algérienne tente de distinguer entre un prétendu Hirak «original», celui qui scande «Chaâb-djeïch, khaoua khaoua», et un Hirak de «traîtres», noyauté par «des professionnels du mensonge et de la désinformation, fussent-ils des Etats, des gangs ou des individus… investissant même dans le Hirak et les pandémies pour en faire une arme qui sème la discorde et la division, avec pour projet de rompre les liens de cohésion entre le peuple et son armée». Bien évidemment, ce dernier Hirak, guère différent de celui qui a précédé la crise sanitaire, appelle à jeter les généraux algériens à la poubelle et à instaurer un Etat civil, où l’armée est confinée dans sa mission traditionnelle de défense des frontières du pays.
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Rivalisant de qualificatifs insultants, le journal de l’armée algérienne va même jusqu’à traiter le Hirak de «horde de charognards, de loups et d’hyènes», où on retrouve «des organisations terroristes islamistes solidaires avec le courant de gauche, les laïcs ou même les ‘Ahrar’ qui veulent une démocratie oligarchique».
Ce discours d’une rare violence à l’égard du Hirak n’est pas sans rappeler celui que tenait le défunt général Ahmed Gaïd Salah, dont les manigances pour maintenir en place le pouvoir des généraux, avant et après la chute de Bouteflika, ont été vivement contestées par les manifestants du vendredi. En septembre 2019, Gaïd Salah est allé jusqu’à qualifier les manifestants du Hirak, qui s'opposaient alors à la présidentielle post-Bouteflika, de «traîtres» et de «voyous». Au 30e vendredi de la contestation populaire, coïncidant avec le 13 septembre 2019, des centaines de milliers d’Algériens lui ont répondu par une manifestation massive exigeant le départ de tout le «système».
Gaïd Salah récidiva début décembre 2019, par la voix du ministre de l’Intérieur de l’époque, Salah Eddine Dahmoune, qui a qualifié les opposants à la présidentielle du 12 décembre de «traîtres, mercenaires et homosexuels». Ironisant sur cette dernière insulte, les manifestants du Hirak ont réagi en organisant une gigantesque manifestation, qu’ils ont surnommée la «Gaïd Pride», en référence à la «Gay pride».
Comme si toutes ces insultes ne suffisaient pas, les «fils de l’Algérie», dont ceux résidant à l’extérieur et récemment menacés de retrait de la nationalité algérienne, sont également accusés de collaboration avec les ennemis étrangers. Ainsi, on peut lire dans le dernier numéro d’El Djeïch, que «le nombre de pages Facebook à elles seules gérées à partir du Maroc, en vue d’attaquer l’Algérie et son armée, atteint plus de 500. En provenance de France, il est d’environ 150 et de l’entité sioniste quelque 20 pages. Ces mêmes pages font la promotion de publications d’autres pages qui attaquent le pouvoir et l’armée et répandent des fake-news et des rumeurs».
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Pour donner plus d’ampleur à ces accusations vis-à-vis du Hirak et de la main étrangère, El Djeïch a été bien évidemment épaulé par les médias officiels locaux, qui considèrent la revue militaire comme une référence, voire une bible de l’information. Ainsi, selon l’APS, «la revue de l'armée a affirmé, à ce propos, que ces parties (étrangères, Ndlr) avaient mobilisé leurs pions, leurs mercenaires et leurs médias qui… telles les autruches, refusent de reconnaître, par arrogance, dédain et avec obstination, que la nouvelle Algérie est devenue une réalité concrète»!
Même son de cloche du côté d’Al Moudjahid qui commente le contenu de la revue El Djeïch en voyant dans le Hirak et ses soutiens «des suppôts de la tricherie, des hyènes de la fitna et des professionnels du mensonge, de la désinformation».
Ce jeudi 11 mars 2021, à la veille du 108e vendredi du Hirak, les généraux tentent une énième manœuvre de diversion. Il s’agit de l’annonce du rappel à la barre de l’ex-homme fort des renseignements algériens, le général Wassini Bouazza, dont les insultes à l’égard du Hirak, à travers les «mouches électroniques» sont de notoriété publique. Son nouveau procès devant le tribunal militaire de Blida est prévu pour ce 30 mars.
Néanmoins, ce que les généraux semblent oublier, c’est qu’ils sont en train de rééditer les mêmes procédés de Gaïd Salah et de son homme de confiance Wassini Bouazza. En insultant le peuple qui manifeste pacifiquement, le régime militaire est en train de faire un remake de ce qu’il nomme «le Hirak original». Pour porter ce remake à son point culminant, il n’y a qu’un seul pronostic possible: la mort ou la prison attend les hauts gradés de l’armée algérienne.