"Il y a aujourd'hui des criminels de guerre qui trouvent refuge en France et en Europe", a récemment témoigné devant des députés français Ziad al-Isa, médecin franco-syrien et représentant de l'Union des organisations de secours et de soins en Syrie (UOSSM). Des "shabihas", miliciens au service de Bachar al-Assad, viendraient trouver asile en terre européenne? L'hypothèse soulève le coeur des Syriens qui ont fui le régime d'Assad, responsable de près de 80% des 250.000 morts du conflit entamé en 2011, selon le Réseau syrien des Doits de l'Homme.
Les "shabihas" sont des gangs de voyous et des hommes de main chargés des basses oeuvres du régime, selon l'opposition. Souvent alaouites (branche minoritaire du chiisme dont est issue la famille al-Assad), ils sont accusés d'innombrables exactions contre les civils suspects de dissidence. Alors que près de 600.000 migrants ont rallié cette année l'Europe via la Méditerranée, dont une moitié de Syriens selon l'ONU, beaucoup viennent de Syrie même (et non de camps de réfugiés dans les pays limitrophes), et notamment de zones sous contrôle du régime.
Sous couvert d'anonymat, un employé syrien d'une ONG internationale a raconté à l'AFP avoir repéré avec certitude, lors d'une mission d'évaluation fin septembre sur l'île grecque de Kos, plusieurs ex-miliciens pro-régime. Membres d'une même famille originaire de Tartous (nord-ouest de la Syrie), ces hommes faisaient partie d'un groupe de migrants à peine débarqués de Turquie. "Nous aussi nous sommes des victimes de guerre", a tenté d'expliquer l'un d'eux, sous les regards hostiles de leurs compatriotes.
“Criminels, pas réfugiés”
Dans le flot de réfugiés syriens, le phénomène reste difficile à cerner. Une page Facebook, intitulée en arabe "Des criminels, pas des réfugiés!" y est entièrement consacrée. Tenue par des Syriens indignés de l'arrivée de ces "tortionnaires" en Europe, elle recense, photos à l'appui, des dizaines de miliciens syriens pro-régime ou volontaires chiites irakiens qui ont combattu en Syrie.
On les voit poser les armes à la main sur une ligne de front, devant des portraits d'al-Assad ou piétinant des cadavres. Puis, dans leur nouvelle vie en Europe: tout sourire en maillot de bain dans une piscine, attablé à la terrasse d'un café ou avec un sac à dos de touriste sous la porte de Brandebourg à Berlin. Ces photos n'ont évidemment pas valeur de preuve, mais le contraste est saisissant.
"Nous avons pris cette initiative après avoir reçu des témoignages de réfugiés syriens, stupéfaits d'avoir croisé et reconnu, au coeur de l'Europe, les visages de certains de leurs bourreaux", explique à l'AFP Qutaiba Yacine, l'un des animateurs de ce compte.
"Nous agissons et collectons les témoignages pour les démasquer", souligne M. Yacine, qui estime leur nombre "à près de cinq cents" aujourd'hui, vivant pour la plupart en Europe du Nord, Allemagne, Autriche, mais aussi en France.
"Je ne suis pas sûr de l'authenticité de toutes ces images", commente le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. Mais des informations venant de Syrie disent "que des jeunes de la communauté alaouite sont de plus en plus nombreux à essayer de fuir, notamment pour éviter la conscription forcée, alors que les pertes du côté gouvernemental sont très importantes".
"Il peut donc s'agir de jeunes qui veulent échapper au service militaire et à une guerre qui n'en finit plus", ajoute le chercheur. "Mais il peut aussi y avoir d'ex-shabihas possiblement impliqués dans des crimes de guerre. C'est un sujet très délicat."
Exclus du droit d'asile
"La question doit être posée", confie, sous couvert d'anonymat, un magistrat à la Cour nationale française du droit d'asile. "Certains des réfugiés syriens ont-ils pris part aux horreurs commises par le régime?". Les entretiens, menés par l'Office français pour les réfugiés et apatrides (OFPRA) ou les autres bureaux européens en charge des réfugiés, "sont faits pour détecter ce genre de cas, mais c'est très difficile", reconnaît cette source. "Il y a tellement de fausses identités, de faux témoignages... et personne ne va se vanter de ce genre de forfaits."
"Il y a une clause d'exclusion très claire à ce sujet: les responsables de toute violation des conventions de Genève sont exclus du droit à l'asile, nous sommes très attentifs à ce genre de choses", assure-t-on à l'OFPRA. "Dans la situation de chaos actuel en Europe, où de fait il n'y a pas de formalité d'entrée, il ne serait pas étonnant" que d'anciens miliciens du régime aient pu mettre les pieds en Europe, reconnaît une source très impliquée dans le dossier.
"Il est donc important qu'il y ait des centres de réception des réfugiés mis en place aux portes de l'Europe", estime une porte-parole du Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR), Céline Schmitt.