Au moins 10 militants, en majorité des femmes, ont été arrêtés à quelques semaines de l'entrée en vigueur le 24 juin du décret royal autorisant les femmes à conduire. Les détenus s'étaient battus pour cet objectif qui, en revanche, a été présenté par les autorités comme faisant partie de la politique de modernisation impulsée par le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane.
"Le moment est crucial" et "le message est clair", explique à l'AFP un militant sous couvert d'anonymat. "Permettre de conduire n'est pas un droit que les femmes peuvent revendiquer. Ce n'est pas le résultat d'une lutte, c'est une bénédiction que le roi et la famille royale ont accordée au peuple en Arabie saoudite". La répression, ajoute-t-il, vise à tuer l'idée que tout changement futur pourrait être la conséquence d'actes publics de militantisme.
Ces arrestations "causent certainement un grand préjudice à la campagne internationale de relations publiques" ayant accompagné les récentes visites du prince héritier aux Etats-Unis et en Europe, estime Kristian Ulrichsen, expert associé à la Rice University à Houston.
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Elles pourraient "masquer une lutte (interne) plus profonde sur le rythme et la direction des réformes", ajoute-t-il en notant que la présentation de militants des droits des femmes comme "traîtres" à la Une de journaux "envoie un puissant message à l'international et à l'intéreur, bien que ça soit pour des raisons très différentes". Dans le Royaume, l'avertissement "apparaîtra limpide à quiconque serait tenté de critiquer le gouvernement", dit cet analyste.
Selon Kristin Diwan de l'Arab Gulf States Institute à Washington, il s'agit plus pour le pouvoir royal de "se repositionner", entre libéraux et conservateurs, plutôt que de "revenir sur les réformes". "S'en prendre à ces militants à gauche et ramener vers soi certains hommes du vieil establishment religieux permet au pouvoir de se positionner au centre, alors qu'il avance avec les changements", dit-elle.
Si le programme de modernisation Vision 2030 du prince Mohammed revêt un caractère économique et social, il "n'inclut pas un élargissement de l'espace politique", a rappelé l'ancien ambassadeur américain Gerald Feierstein devant le Middle East Institute.
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Une militante explique, sous couvert d'anonymat, que lorsque le décret royal autorisant les femmes à conduire a été annoncé en septembre 2017, de nombreux Saoudiens ont pensé qu'ils pourraient désormais être associés par la famille règnante à certaines prises de décision, "mais cela n'a jamais été le cas". "La nature et le rythme des réformes sont totalement contrôlés par la monarchie absolue", ajoute-t-elle.
La sécurité d'Etat saoudienne n'a pas identifié les détenus, mais seulement les motifs des arrestations, y compris conspiration pour "porter atteinte à la stabilité" du royaume et "contacts suspects avec des parties étrangères". Les autorités n'ont pas été plus spécifiques dans leurs accusations. Mais dans les heures ayant suivi l'annonce, la presse progouvernementale s'est mise à remplir des blancs, publiant les noms des militants et les qualifiant de "traîtres".
Sous le titre "Vos trahisons ont échoué", le quotidien Al-Jazirah a publié les photos des militantes Loujain al-Hathloul et Aziza al-Youssef, symboles de la jeune et de l'ancienne génération de féministes. L'avocat Ibrahim al-Madmyegh, également parmi les détenus, a été qualifié d'"avocat du diable".
Le journal Okaz est allé jusqu'à soulever la perspective de peines de mort si les accusations sont confirmées: "Les crimes de trahison et de collaboration avec l'ennemi sont des crimes de corruption qui méritent la mort". Sur Twitter, des partisans du gouvernement ont affirmé que les personnes arrêtées avaient "trahi" leur patrie et même leur religion.
La militante interrogée par l'AFP estime que cette campagne constitue un avertissement sans équivoque à quiconque serait tenté de suivre l'exemple du groupe de personnes arrêtées. Le message est que "si vous voulez que des choses se produisent, vous ne devez travailler qu'avec les dirigeants du régime saoudien".
Moins de trois semaines avant l'annonce du 26 septembre sur la levée de l'interdiction des femmes au volant, les autorités avaient déjà arrêté au moins 20 personnes, dont des intellectuels et des prédicateurs, perçues comme potentiellement hostiles au pouvoir.