Du Parlement israélien au Qatar: le mystérieux parcours du Palestinien Azmi Bishara

Azmi Bishara.

Azmi Bishara. . DR

La crise sans précédent qui a vu le Qatar isolé par l'Arabie saoudite et ses alliés est entrée mardi dans sa deuxième année et, parmi ses nombreux acteurs, figure un homme de l'ombre, ancien membre du Parlement israélien.

Le 05/06/2018 à 10h25

Autrefois considéré comme le "mouton noir" de cet hémicycle en raison de ses positions pro-palestiniennes, Azmi Bishara a fui Israël en 2007, alors qu'il était accusé de trahison pour avoir conseillé la milice chiite libanaise du Hezbollah pendant la guerre de l'été 2006, ce qu'il a démenti. Il s'est depuis repositionné dans le Golfe comme intellectuel arabe, proche des cercles du pouvoir au Qatar et force incontestable dans des médias pro-qataris à travers la région.

Il "joue un rôle-clé dans l'approche du Qatar à l'égard de la région et du monde à travers les médias et la recherche", explique à l'AFP Theodore Karasik, du Gulf State Analytics Research Group. "Son rôle est incontestable", et, "compte tenu de la dispute acrimonieuse dans le Golfe et de la probabilité d'un clivage permanent, l'intellectuel palestinien est susceptible de continuer à trouver la sécurité à Doha", poursuit-il.

Azmi Bishara est un Arabe israélien, un de ces descendants de Palestiniens restés sur leur terre quand Israël a été créé en 1948. Ils représentent aujourd'hui environ 17,5% de la population israélienne. Ancien marxiste, Azmi Bishara a pendant un temps dirigé le Rassemblement national démocratique (RND), un parti arabe israélien plus connu sous l'acronyme "Balad". Originaire de Nazareth, ce chrétien moustachu de 61 ans a ainsi été sévèrement critiqué pour "des changements perpétuels d'alliances", du socialisme aux accusations de "terrorisme" brandies par ses détracteurs.

Le Qatar est au coeur d'une grave crise depuis que l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont coupé tous les liens avec l'émirat le 5 juin 2017 en l'accusant de financer le "terrorisme", une référence à des groupes extrémistes sunnites, accusations démenties par Doha. Le petit émirat se voit aussi reprocher un rapprochement avec l'Iran chiite, principal allié régional du Hezbollah libanais et ennemi juré de Ryad.

Sur les réseaux sociaux et sur des chaînes de télévision du Golfe considérées comme proches de l'Arabie saoudite et de ses alliés, Azmi Bishara a été qualifié de "Raspoutine de Doha", d'"agent du Mossad" (les services secrets israéliens) et de "parrain du terrorisme". "Ce qui a été écrit sur Bishara dans les médias du Golfe a été largement exagéré", estime Andreas Krieg, expert associé au King's College de Londres et qui a lui-même conseillé le gouvernement du Qatar. "C'est un Palestinien chrétien qui avait un passeport israélien. Il a autrefois été socialiste, mais a changé d'opinions politiques au fil des ans", dit encore Krieg, ajoutant: "Le traiter de parrain du terrorisme n'a aucun sens".

Les controverses autour d'Azmi Bishara ont été nombreuses et incessantes. Il a démissionné du Parlement israélien en 2007, au milieu d'enquêtes sur son rôle présumé aux côtés du Hezbollah dans la guerre avec Israël l'année précédente. Il a aussi été privé de l'immunité parlementaire en Israël pour des commentaires anti-israéliens et des soupçons de liens avec la Syrie.

Les initiés affirment depuis longtemps que Bishara exerce une influence significative dans les cercles politiques du Qatar. Ses livres ont été interdits en Arabie saoudite et, en 2014, Ryad a exigé que le Qatar ferme l'Arab Center for Research and Policy Studies, un groupe de réflexion basé à Doha et dirigé par Bishara. "Comme les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite considèrent toute forme de dissidence et d'opposition comme une menace pour l'Etat, les exposés libéraux du centre de Bishara vont à l'encontre des politiques d'Abou Dhabi et de Ryad qui promeuvent le mythe de la stabilité autoritaire", estime Krieg.

Les détracteurs d'Azmi Bishara affirment qu'il n'a que ses intérêts personnels à coeur et qu'il survivra, quelle que soit l'issue de la crise du Golfe. "Si le Qatar change de voie, Bishara ira courir ailleurs", affirme Karasik.

Le 05/06/2018 à 10h25