L'accord est loin du "contrat du siècle" qui portait sur 126 avions de chasse, mais dont les négociations exclusives entre l'Inde et Dassault avaient été abandonnées en 2015. Il n'en reste pas moins le plus cher jamais décroché par l'aéronautique militaire français.
Le rideau est tombé sur un feuilleton de neuf ans à la mi-journée à New Delhi. Au cours d'une brève cérémonie, le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian et son homologue indien Manohar Parrikar ont paraphé l'accord intergouvernemental rudement négocié depuis avril 2015. Les deux officiels ont échangé une longue et chaleureuse poignée de mains.
Des applaudissements nourris ont éclaté dans la délégation française à l'issue de la signature, a constaté une journaliste de l'AFP. S'exprimant devant les journalistes, M. Le Drian a exprimé "sa grande fierté" et sa "satisfaction du partenariat que nous avons de longue date avec l'Inde". "On n'est vraiment complètement rassuré que quand on a signé et c'est le cas aujourd'hui", a-t-il déclaré, allusion au nombreuses péripéties de ce marathon commercial.
Selon l'accord, épais de 10.000 pages, New Delhi achètera 36 avions de combat Rafale au constructeur français Dassault pour quelque huit milliards d'euros. Les premiers Rafale seront livrés fin 2019, la livraison devant s'échelonner sur deux ans et demi. C'est la plus importante commande étrangère de l'histoire du Rafale. Après des débuts difficiles à l'exportation, le chasseur français avait finalement trouvé preneur en 2015 au Qatar et en Egypte. Les deux pays avaient acquis 24 appareils chacun.
Le constructeur espère que ce premier contrat avec l'Inde ouvrira la voie à d'autres succès pour le Rafale dans le pays, où il pourrait cette fois être fabriqué. Au vu de l'état de son arsenal, New Delhi a renoncé temporairement à son exigence de production de Rafale sur son sol. L'Inde "voulait ces avions vite, car leur technologie de pointe, leurs missiles, peuvent permettre de faire une différence" stratégique, décrypte pour l'AFP Nitin A. Gokhale, spécialiste des questions de défense.
En contrepartie, Dassault va être cependant contractuellement obligé de réinvestir près de la moitié des sommes perçues dans l'industrie indienne. Mais cette commande n'apaisera pas totalement l'armée de l'air indienne. Elle ne compte qu'une petite trentaine d'escadrons de 18 appareils, là où au moins 42 sont jugés nécessaires.
Pour la France, un tel contrat avec l'Inde, grande puissance d'Asie du Sud, constitue aussi une victoire diplomatique importante. "C'est le signe de notre présence dans cette partie du monde. Avec l'Australie (qui a choisi la technologie française pour renouveler sa flotte de sous-marins), on a plus que jamais deux partenaires essentiels en Asie-Pacifique", souligne-t-on dans l'entourage de M. Le Drian. L'arrivée des avions de chasse français devrait soulager en partie l'armée de l'air indienne, qui dénonce de longue date un équipement insuffisant et obsolète.
Outre la vieille inimitié avec son frère ennemi pakistanais, l'Inde est confrontée à la montée en puissance et l'affirmation de la Chine sur le continent asiatique. "Le Pakistan on peut s'en occuper. Le Pakistan, on peut montrer les muscles. Mais la Chine, on n'est pas du tout à la hauteur", explique à l'AFP l'analyste Gulshan Luthra.
La flotte indienne est pour beaucoup composée d'appareils russes en fin de vie. Leurs fréquents accidents et avaries leur valent d'ailleurs régulièrement le sinistre sobriquet de "cercueils volants". Cet accord s'inscrit dans un mouvement plus large de modernisation militaire, dans lequel l'Inde compte injecter au total plus 100 milliards de dollars.
La démocratie la plus peuplée du monde avait à l'origine lancé un appel d'offres pour 126 avions de combat - dont 108 assemblés en Inde - pour lesquels elle était entrée en négociations exclusives avec Dassault, le constructeur du Rafale, en 2012. Mais la commande n'avait jamais vu le jour, les Français refusant d'assumer la responsabilité technique - ce que réclamait New Delhi - pour tous les appareils construits en Inde.