En signant le projet de loi de Finances 2021, à quelques heures de l’expiration du délai légal, la main du président Abdelmadjid Tebboune devait trembloter. Si ce n’est pas en raison des séquelles laissées par sa longue hospitalisation hors du pays, elle aurait frémi en raison du déficit abyssal des finances publiques de l’Etat. L’écart prévu entre les recettes et dépenses de l’Algérie devrait s’aggraver à 13,6% de son PIB estimé pour 2021. Pis encore, ce niveau affolant repose sur des prévisions difficilement réalisables. Et pour cause.
Sonatrach, le cœur battant de l’économie algérienne a vécu une année 2020 des plus sinistres. Une enquête exclusive, publiée sur le site Algérie Part, lève le voile sur l’ampleur des dégâts au sein de la compagnie nationale des hydrocarbures, dont les chiffres sont généralement frappés du sceau secret-défense. «Les ventes et exportations du pétrole brut ont baissé de 52% en 2020 par rapport à 2019», révèle ainsi le média algérien. Les documents auxquels il a eu accès font état d’un «bilan de toutes les ventes et exportations du pétrole brut de l’Algérie qui n’a pas dépassé, en 2020, les 5,37 milliards de dollars». Avec ces recettes, l’Algérie ne pourra même pas couvrir les besoins de son secteur de l’Education nationale qui nécessite 7 milliards de dollars.
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Cette baisse n’est pas uniquement liée à l’effondrement du cours du baril provoqué par la pandémie du coronavirus. «Au cours de cette année 2020, Sonatrach a subi de nombreux incidents techniques ayant causé l’arrêt de production de nombreux sites pétroliers, en raison de la mauvaise gouvernance de la partie entretien et maintenance des installations», écrit Algérie Part, qui rappelle l’incendie ayant ravagé El Merk, le deuxième plus important gisement pétrolier en Algérie.
Si l’année 2020 a été la plus belle des démonstrations que l’Algérie ne peut plus continuer de dépendre maladivement de ses hydrocarbures, 2021 sera une année encore plus difficile pour le pétrole algérien. Au-delà des contraintes liées aux quotas fixés par l’OPEP, la forte consommation nationale interne en Algérie laisse peu de place aux exportations. «La consommation interne est passée de 400 mille barils par jour en 2017 jusqu’à près de 600 mille barils depuis 2019», écrit Algérie Part, qui précise que la production algérienne quotidienne a flirté, en 2020, avec les 750.000 barils.
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L’Algérie ne pourra donc pas compter sur son pétrole brut pour renflouer ses caisses. Mais les dirigeants ont du mal encore à se rendre à cette évidence. Ils continuent leur fuite en avant, en budgétisant des «revenus d’exportations pétrolières de 23,21 milliards de dollars en 2021», soit quatre fois les recettes engrangées par Sonatrach, l’année écoulée.
Ces recettes exagérées constituent l’ossature du budget d’Etat. Elles couvrent une bonne partie des importations du pays, estimées à près de 28,2 milliards de dollars. Un chiffre qui paraît, à son tour, sous-évalué puisqu’il prévoit une baisse de 14,4% par rapport à l’année écoulée. Cette «rationalisation» drastique, difficilement réalisable, ne manquera pas de se faire ressentir sur la disponibilité des produits et des biens d’équipements sur le marché.
En même temps, l’Algérie n’a plus le luxe d’importer sans compter alors que ses réserves de change fondent comme neige au soleil. La loi de Finances 2021 anticipe d’ailleurs les difficultés engendrées par le manque de devises. «Le paiement des opérations d'importation devra s'effectuer au moyen d'un instrument de paiement dit ‘à terme’, payable à 30 jours à compter de la date de l'expédition des marchandises», peut-on lire dans le texte de la loi de Finances.
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Dernier chiffre et non des moindres: les 1929,3 milliards de dinars de transferts sociaux, que prévoit le budget d’Etat, ne sont pas en augmentation comme le prétend le gouvernement algérien. Sur la base du cours de change actuel du dinar (environ 132 dinars pour un dollar), ces transferts sociaux s’élèvent à 14,6 milliards de dollars. Néanmoins, le budget 2021 table sur une dépréciation durable de la monnaie algérienne pour atteindre un taux moyen de 142 dinars pour un dollar. Cela se traduirait donc par une «économie» de près d’un milliard de dollars sur ces transferts sociaux: c’est un effet arithmétique de reconversion des dollars encaissés pour le pétrole, en dinars distribués en subventions publiques.
Une acrobatie monétaire intenable à moyen terme. Le faible taux d’autosuffisance du pays, ne serait-ce qu’en produits alimentaires de première nécessité, laisse présager une forte inflation importée, bien au-dessus des 4,5% prévus par la loi de Finances. Les subventions publiques qui permettent donc de préserver une «paix sociale», déjà très éphémère, risquent de s’avérer insuffisantes. Le malaise ressenti par la population risque de s’aggraver. Et le peu de confiance et de crédibilité que cette dernière accorde encore à ses dirigeants pourrait définitivement… disparaître.