L'agence française de presse (AFP) nous a habitués à un suivi rigoureux des affaires d’agressions sexuelles se déroulant en Europe. Du scandale lié à la vie débridée de Dominique Strauss-Kahn, ancien patron du FMI, au long feuilleton des viols présumés commis par l’islamologue Tariq Ramadan, l’AFP n’a rien raté. Témoignages des victimes, suivi des procès, octroi de la parole aux uns et aux autres, le professionnalisme est la seule règle. Mais quand il s’agit d’une affaire se déroulant au Maroc, en l’occurrence celle de Taoufik Bouachrine, le directeur d’Akhbar al Yaoum, le ton change.
Alors que les victimes sont nombreuses (quatorze), que les charges retenues contre le principal accusé (viols, traite d’êtres humains et vidéos à caractère pornographique) sont nombreuses et que le procès se déroule normalement, l'AFP préfère regarder ailleurs. Une dépêche, datée d’hier jeudi, en dit long sur ce qui ressemble à un traitement à géométrie variable d’une même thématique, à savoir les agressions sexuelles contre les femmes. Et c’est ainsi que Bouachrine est présenté comme le directeur «d’un quotidien marocain indépendant», «connu pour sa liberté de ton». Son arrestation, sur son lieu de travail, mais aussi des présumés crimes est, elle, qualifiée de «spectaculaire».
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Nous sommes loin de la retenue d’usage dans ce genre d’affaires, d’autant que la justice ne s’est pas encore prononcée. Mieux, seule la défense du concerné qui n’hésite pas à qualifier le procès de «simulacre» se voit accorder la parole. Les victimes, elles, n’ont pas droit de cité. A peine saura-t-on que cinq femmes se sont portées parties civiles, que huit étaient absentes de l’audience d’hier jeudi et que trois ont déjà fait savoir qu'elles n'avaient rien à reprocher à l'accusé. Seuls les propos de ces dernières sont rapportés. Notamment pour faire dire à l’une d’elles qu’il s’agit d’un «procès politique». Sérieusement?
Résultat, la dépêche est complètement déséquilibrée et donne la parole abondamment aux avocats de Bouachrine, et aux trois des quatorze plaignantes qui se sont rétractées, mais n’accorde aucun égard aux cinq autres victimes. Ce traitement sélectif dans la couverture de ce dossier est méprisant envers les plaignantes et laisserait croire que le directeur d’Akhbar al Yaoum serait la victime. Si Taoufik Bouachrine a droit à la présomption d’innocence, ses supposées victimes ont droit au respect. Ce que leur dénie l’AFP.