Ces propos du ministre français des affaires étrangères datent du 6 mars dernier déjà, et se voulaient aussi neutres que fort diplomatiques, sans aucun engagement ou parti pris de la France dans la crise qui secoue actuellement l’Algérie. La France souhaite donc que le processus électoral en Algérie se déroule dans de «bonnes conditions, avec toute la transparence et la sérénité nécessaires».
«Il s'agit d'un moment essentiel pour l'histoire de l'Algérie, ce pays devant trouver l'impulsion nécessaire pour faire face aux défis qui se trouvent devant lui et pour répondre aux aspirations profondes de son peuple et de l'ensemble des Algériens», avait déclaré, en substance, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en réponse à la question d'un député sur la situation politique en Algérie. Cela s’est produit le 6 mars 2019.
Le ton était sobre, la neutralité de mise, mais l’agence officielle algérienne ne pouvait s’en contenter et a cru bon détourner les propos du chef de la diplomatie française. Le procédé appartient à un autre âge. Il suffisait de donner à croire qu’il s’agissait d’une déclaration nouvelle, en recyclant ces propos dans une dépêche parue hier, 8 mai 2019. Dans cette dépêche de l’APS, on peut lire: «la France souhaite que l'élection présidentielle en Algérie, prévue le 4 juillet, se déroule dans de bonnes conditions, avec toute la transparence et la sérénité nécessaires». Et l’APS de préciser: «a déclaré le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian en réponse à une question mardi d'un député sur la situation politique en Algérie, ajoutant que "c'est dans cet esprit que nous apprécions aujourd'hui la situation"». Donc, une déclaration datant du 6 mars, est ressuscitée le mardi 7 mai. Sans vergogne.
Ce n’est pas tout. Car l'objectif de cette falsification de déclaration comporte, en fait, une échéance qui a surpris tous les observateurs. En effet, en laissant croire que la France soutenait l’organisation d’élections présidentielles le 4 juillet, une date mentionnée dès le lead de la dépêche, l’APS cherche à forcer le soutien de Paris à la «transition démocratique» voulue par l’homme fort de l’Algérie, le chef de l’armée Ahmed Gaïd Salah. C’est ce dernier qui soutient mordicus l’échéance du 4 juillet, au nom du respect de la Constitution.
Lire donc la dépêche avec cette date précise, c’est croire que la France soutient la transition en Algérie, non pas comme le peuple le souhaite, mais comme l’armée et son chef l’envisagent. Au mieux, cela revient à induire en erreur l’opinion. Au pire, ce n’est, ni plus ni moins, que de la désinformation et de la propagande.
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D’ailleurs, l’ambassade de France à Alger a vite fait de démentir, ce jeudi 9 mai, les propos prêtés par cette dépêche APS à Le Drian. Une dépêche «qui laisserait à penser que les déclarations du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, seraient nouvelles», écrit l’ambassade de France dans un communiqué. «Il s’agit en réalité d’une réponse datant du 6 mars 2019, lors d’une séance de questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale. Elles ne sauraient donc être présentées comme la position française à la date du 9 mai 2019», précise le communiqué.
Prise à son propre piège, APS s’est aussi platement que maladroitement excusée dans une dépêche publiée ce jeudi 9 mai. «Les réponses [du 6 mars, Ndlr] du ministre français n’ont été reçues qu’hier mercredi 8 mai 2019 par le bureau de l’APS de Paris», écrit l’agence pour tenter bien maladroitement de justifier le caractère «récent» de la déclaration. C’est bien faible. Encore plus faible était l’argument défendant le rajout de la date de la présidentielle. «Le journaliste, voulant apporter une précision de sa part, a ajouté la date de l’élection présidentielle, alors que le ministre ne l’a pas évoquée explicitement. Toutefois, les propos du ministre français ont été fidèlement repris». Oui, mais de façon «arrangée».
Ce n’est pas la première fois que l’APS fait dans la désinformation. On s’en souvient, et sur un autre registre, en avril 2018, une source du ministère des Affaires étrangères koweïtien avait eu beau préciser, sans équivoque, que «la position de l'Etat du Koweït demeure inchangée» et que «le Sahara du Maroc est le terme adopté dans le cadre du discours de la politique étrangère du Koweït», l’agence algérienne n'avait rien voulu savoir. Elle avait tenté d'instrumentaliser la déclaration d'un représentant de la mission du Koweït à l'ONU quand il avait affirmé que son pays soutenait «les efforts de l'Envoyé personnel du SG de l'ONU, pour trouver une solution équitable et mutuellement acceptable au conflit, qui garantisse le droit du peuple du Sahara occidental à l'autodétermination».
Pas très honnête, tout cela...