Le chef Marcelo Barcellos l'utilise dans sa moqueca, un ragout de poisson baignant dans l'huile de palme et agrémenté de coriandre, l'un des plats emblématiques de la gastronomie locale, originaire de Bahia (nord-est).
Servi avec de la farine de manioc et des noix elles aussi venues tout droit d'Amazonie, ce plat est un pur plaisir pour le palais et pour les yeux, avec le contraste entre la chair blanche du pirarucu, le jaune de la farine et le vert de la coriandre.
Sa saveur s'apparente à celle de poissons de mer comme le lieu jaune.
Marcelo Barcellos, du restaurant Barsa, est enchanté de servir désormais le poisson géant à son menu, car il peut être accommodé à toutes les sauces, sa chair délicate résistant à toutes les températures de cuisson.
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Et pourtant, avant d'arriver sur les tables des restos chics de Rio, le pirarucu, de son nom scientifique Arapaima gigas -aussi appelé "morue d'Amazonie"- a bien failli être rayé de la carte.
Ce poisson géant à tête plate et à la queue écarlate a été sauvé de l'extinction grâce à la mise en place dans une réserve naturelle d'un programme de pêche durable avec des quotas stricts, autorisée uniquement de juillet à novembre, en dehors de la période de reproduction.
Ce programme a été mis en place il y a vingt ans en mêlant méthodologie scientifique de l'Institut de développement durable Mamiraua et savoirs traditionnels des tribus indigènes de la région.
Mais il fallait encore faire connaître le Pirarucu des grands noms de la gastronomie, chose faite grâce au projet "Gosto da Amazonia" (Goût de l'Amazonie).
Neuf chefs de Rio, dont deux Français, se sont rendus récemment dans le nord du Brésil pour observer le fonctionnement de la pêche durable pratiquée par les indigènes de la tribu Paumari.
Frédéric Monnier, originaire d'Angers (est de la France), considère que le pirarucu gagne à être connu pour mettre en valeur le travail de préservation des communautés autochtones. "Sans eux, il ne resterait plus rien", affirme le chef de la Brasserie Rosario.
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"Ce qu'ils font pour l'Amazonie n'a pas de prix", renchérit Jéssica Trindade, chef brésilienne du restaurant Chez Claude, appartenant au Français Claude Troigros, descendant de la célèbre famille roannaise (centre-est de la France) et installé à Rio depuis 40 ans.
"Et en plus, c'est un excellent produit, avec une grande saveur, sans le goût de terre caractéristique de certains poissons d'eau douce", décrit-elle.
Au contact des indigènes, ils ont identifié les parties les plus nobles du poisson, qui ont fini par atterrir dans les assiettes de leurs clients.
Pour Ricardo Lapeyre, chef du Laguiole Lab, l'expérience a dépassé toutes les attentes.
Il pensait se rendre en Amazonie uniquement pour faire une analyse technique de la chair du poisson et ramener de nouveaux ingrédients, mais il a fini par adopter le pirarucu.
"C'est un poisson d'excellence, d'une qualité largement supérieure à ce qui vient de la pisciculture", dit-il.
"Je me suis rendu compte de l'importance de la forêt et du soutien apporté à des projets qui défendent les populations locales", poursuit le chef carioca.
"J'ai été surpris par l'engagement des chefs, leur compréhension des bienfaits de ce poisson pour l'Amazonie et de la nécessité de rémunérer de façon juste les pêcheurs", explique Adevaldo Dias, un des responsables de l'Asproc, coopérative qui gère la pêche durable du pirarucu.
Pour Leonardo Kurihara, coordinateur de l'Opération Amazonia Nativa (OPAN), qui chapeaute le projet, "le chef a une responsabilité importante parce qu'il se trouve à l'autre bout de la chaîne, c'est lui qui présente le produit au consommateur".
"Cela permet d'ouvrir de nouveaux marchés pour ce produit issu d'une pêche durable, qui aide à préserver l'environnement et à renforcer l'autonomie et l'affirmation de l'identité des communautés traditionnelles", dit Felipe Rossoni, spécialiste des peuples indigènes à l'OPAN.
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Le système de gestion durable de la pêche du pirarucu a été mis en place il y a 20 ans.
Depuis, la population de ces poissons géants est passée de 2.507 spécimens en 1999 à 190.523 l'an dernier.
Grâce à la coopérative Asproc, les pêcheurs sont rémunérés 7 réais (environ 1,5 euro) le kilo de pirarucu, contre seulement 4 réais (90 centimes d'euros) dans les marchés locaux.
Mais les restaurateurs doivent débourser en moyenne 48 réais (10,5 euros) le kilo en raison des coûts de transports, pour un plat vendu 70 réais (15 euros).