Il y a plus de vingt ans, le Code du travail marocain adopté en 2004 a constitué une avancée majeure. Il a permis de poser des bases juridiques solides par rapport à l’ancienne version et de moderniser en partie les relations professionnelles, nonobstant quelles points de discordes entre les partenaire sociaux, contrariant ainsi la vie des uns et des autres depuis lors.
Mais le monde a profondément changé depuis: la mondialisation s’est accélérée, le numérique a bouleversé les organisations, de nouvelles formes d’emploi sont apparues et les attentes des jeunes générations vis-à-vis du travail ne sont plus les mêmes.
Or, notre Code du travail, figé dans un autre temps, ne répond plus à ces réalités. Les entreprises, qui doivent être compétitives et agiles pour s’adapter, se heurtent à des rigidités qui freinent l’investissement et l’innovation.
Les syndicats, quant à eux, bien qu’essayant de défendre les droits des salariés, ce qui est leur rôle indiscutable reconnu par la constitution, restent cependant ancrés dans une logique de protection idéologique, alors même que leur représentativité s’effrite avec un taux de syndicalisation inférieur à 7%. La contestation s’est déplacée sur les réseaux sociaux, ce qui est loin d’être souhaitable si nous voulons une réelle démocratie sociale.
Enfin, beaucoup d’employeurs ne respectent pas toujours les droits fondamentaux des salariés, alimentant un climat de défiance entre les partenaires sociaux.
Dans ce statu quo, personne n’y gagne. Ni les entreprises, ni les travailleurs, ni le Maroc.
Réinventer plutôt qu’amender
L’heure n’est plus à de simples amendements techniques. Ce dont le Maroc a besoin, c’est d’une réinvention profonde de son Code du travail, à la hauteur des enjeux du XXIème siècle.
Un code moderne, d’abord, qui garantisse les droits essentiels des travailleurs. Protection sociale, dignité, équité, tout en reconnaissant la nécessité d’une flexibilité responsable encadrée pour les entreprises et une adaptation aux nouveaux modes de travails et des initiatives pour augmenter le taux d’activité des femmes.
Un code ouvert, ensuite, qui laisse davantage de place à la démocratie sociale: conventions collectives adaptées aux secteurs, accords d’entreprise négociés entre partenaires sociaux.
Seul un vrai dialogue social direct garantira la sécurité des uns et des autres et donnera de la visibilité à tout le monde. C’est dans cette dynamique que les solutions concrètes émergent, proches du terrain et adaptées aux réalités économiques.
Enfin, un code pragmatique qui mette fin à l’opposition stérile entre salariés et employeurs pour bâtir une relation de confiance, tournée vers la performance collective et la prospérité partagée.
Progrès économique et progrès social: un même combat
J’ai toujours défendu cette idée simple mais essentielle: il n’y a pas de progrès économique sans progrès social, et il n’y a pas non plus de progrès social durable sans progrès économique.
L’un nourrit l’autre. L’économie crée les ressources nécessaires à la redistribution et à la protection sociale. Le progrès social, à son tour, renforce la stabilité, l’attractivité et la productivité de l’économie. Ce cercle vertueux est la clé de notre avenir.
C’est dans cet alignement que nous pourrons enfin donner corps au contrat social auquel Sa Majesté le roi Mohammed VI nous invitait dès 2009. Un contrat social moderne, équilibré, qui réconcilie performance économique et justice sociale.
Éviter deux Maroc: une exigence royale
Ce nouveau contrat social doit répondre à une exigence claire, maintes fois rappelée par Sa Majesté: éviter de créer deux Maroc. Un Maroc protecteur, moderne, inséré dans l’économie mondiale, et un autre, précaire, laissé à l’informel ou à la marge.
Le Maroc ne peut réussir son développement si une partie de sa population reste à l’écart. Un Code du travail réinventé doit être celui, pour tous les Marocains, garantissant une véritable justice sociale et consolidant notre cohésion nationale.
Une conférence sociale innovante, clé du renouveau
Pour avancer, il ne suffit pas de modifier des textes: il faut repenser le cadre du dialogue.
J’appelle depuis des années à la tenue d’une conférence sociale innovante, où l’État, les syndicats, le patronat et la société civile pourront se réunir pour dessiner ensemble l’avenir du travail au Maroc.
Cette conférence ne doit surtout pas être un simple rituel institutionnel, mais un véritable moment de travail, de production, de refondation, une opportunité pour instaurer une démocratie sociale renouvelée, fondée sur la responsabilité, la transparence et la confiance.
Momentum Maroc et Coupe du Monde 2030: un rendez-vous historique
Nous vivons un moment charnière, un momentum Maroc qui ne se représentera pas deux fois. À l’horizon 2030 et 2040, notre pays se prépare à relever des défis colossaux: démographiques, économiques, sociaux, climatiques et technologiques.
Les chantiers déjà engagés pour accueillir la Coupe du Monde 2030 en sont l’illustration éclatante: infrastructures, mobilités, énergie, tourisme, services… Ce sont des investissements massifs qui transformeront notre pays en profondeur. Mais pour que ces chantiers produisent tout leur impact en matière d’emploi, il faut aussi que le marché du travail soit prêt, agile et inclusif.
Réinventer le Code du travail est donc bien plus qu’une réforme juridique: c’est une condition pour que le momentum Maroc et l’opportunité historique de 2030 deviennent un progrès partagé pour tous les citoyens. En un mot, inclusif.
Soutenir le chantier engagé
Le calendrier fait que la réflexion sur le Code du travail va être initié, sous l’impulsion du ministre de l’Emploi. Ce chantier doit être soutenu, accompagné et accéléré, car il est stratégique pour notre avenir collectif.
Comment ignorer que le taux d’emploi national au Maroc reste inférieur à 40% (35% en milieu urbain)? Que le taux d’activité des femmes ne dépasse pas 18%? Que le chômage des jeunes diplômés dépasse 30%? Et que 1,7 million de jeunes Marocains sont aujourd’hui NEET (ni en emploi, ni en études, ni en formation)?
Si nous ne mettons pas ces réalités en perspective, nous échouerons. Et cet échec, aucun Marocain ne le souhaite.
Pour un nouveau pacte social marocain
Réinventer le Code du travail, ce n’est pas affaiblir les droits, c’est les rendre crédibles et applicables. C’est donner à nos entreprises les moyens d’attirer et de retenir les talents, de créer de l’emploi durable et de contribuer au développement national. C’est aussi offrir à nos jeunes générations un marché du travail plus inclusif, plus juste et plus protecteur.
Nous avons besoin d’un nouveau pacte social marocain et de confiance, construit par le dialogue, la responsabilité et l’innovation. Le temps est venu de dépasser les blocages, d’oser la réforme en profondeur et de bâtir un Code du travail qui soit enfin en phase avec les ambitions de notre pays.
C’est une responsabilité collective. C’est aussi un acte patriote.






