Ordonnée par la justice en 2016, la liquidation de la Société anonyme marocaine et italienne de raffinage (Samir) est la plus importante de l'histoire du Maroc. Plus de 800 emplois sont en jeu.
Au moment de cette mesure de liquidation, la raffinerie, créée en 1959 par le gouvernement marocain et cédée en 1997 au groupe suédo-saoudien Corral, était à l'arrêt depuis un an déjà, plombée par des dettes envers l'Etat, ses fournisseurs et des banques privées. La facture à éponger est estimée à quatre milliards d'euros.
"Ce n'est pas qu'une question d'emplois mais (aussi) de souveraineté énergétique", déclare à ce sujet Houcine El Yamani, délégué du personnel de la raffinerie, qui se bat pour sauver cette entreprise, située à Mohammedia.
Houcine El Yamani est la cheville ouvrière du "Front pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine", un comité qui regroupe des syndicalistes, des économistes et des acteurs associatifs.
Depuis l'arrêt de l'activité de la raffinerie, "nous avons multiplié les actions (conférence de presse ou encore sit-in, NDLR) et avons toujours l'espoir d'une solution", souligne-t-il, dans les locaux de la Confédération démocratique du travail (CDT), le principal syndicat des salariés de la Samir.
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La privatisation de la Samir, en 1997, fut une "grande fumisterie", dénonce son comité dans un rapport remis en 2018 au ministère de tutelle. Le document dénonce une cession "de gré à gré dans l'opacité la plus totale".
"Aucun des engagements contractuels du groupe Corral ne fut respecté", critique notamment ce rapport.
L'arrêt de l'activité en 2015 a fait craindre une baisse des approvisionnements en produits pétroliers du pays, et la mise en danger de centaines d'emplois.
Lorsque le tribunal de commerce de Casablanca a ordonné en mars 2016 la mise en liquidation de la Samir, une autorisation de poursuite de l'activité avait été accordée en vue d'une cession des actifs. Un syndic judiciaire avait alors été désigné pour trouver un acheteur et tenter de sauver les 800 postes d'emplois de la raffinerie.
"Une trentaine de groupes internationaux se sont montrés intéressés", mais sans résultat, déplore Houcine El Yamani.
Les difficultés de cession sont liées à "l'absence de réponse de l'Etat marocain sur l'avenir des industries de raffinage. A défaut d'action du gouvernement, les actifs de la Samir risquent d'être vendus à la ferraille au kilo de fer", s'inquiète, à ce sujet, le Front pour la sauvegarde de la raffinerie.
Le Maroc veut-il poursuivre cette activité de raffinage du pétrole? "Nous n'avons rien contre", assure, de son côté, le ministre de l'Energie, Aziz Rebbah.
"Le dossier est entre les mains du tribunal et nous attendons sa décision et celle du syndic. Si un repreneur se présente, nous étudierons ses propositions", affirme-t-il.
A ce jour, bien que l'activité de la raffirnerie aie cessé, les salariés sont toujours à leur poste, et perçoivent leur salaire, prélevé sur le reliquat de trésorerie et de recouvrement des créances des clients.
En matière de consommation pétrolière, le Maroc dépend des pays producteurs de pétrole et importe la totalité de ses besoins en produits pétroliers, et, depuis la cessation de l'activité de la Samir, importe également la totalité de ses besoins en pétrole raffiné.
Un rapport parlementaire, publié l'an dernier, après la libéralisation des prix des produits pétroliers, démontre que les importateurs de carburants ont considérablement augmenté leurs marges.
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Outre une hausse des prix à la pompe, le Maroc doit de plus faire face à "une couverture de stock [des réserves, Ndlr] inférieure au minimum légal pour tous les produits", a récemment alerté l'Agence internationale de l'énergie. Selon cette institution, la fermeture de la Samir met "en péril la sécurité énergétique du pays".
Le Front de sauvegarde de la raffinerie a élaboré divers scénarii pour relancer l'activité: gestion libre, conversion des dettes en participations au capital, transfert à une société mixte, nationalisation...
Le tribunal a prolongé une douzaine de fois le délai de continuité de l'activité. Le dernier en date arrive à terme le 18 juillet. Le raffineur devra, à cette date, avoir trouvé un acquéreur, faute de quoi il sera "vendu à la découpe", selon la presse économique.
Et pendant ce temps, une bataille judiciaire oppose en ce moment même l'Etat au propriétaire de la raffinerie, le milliardaire saoudo-éthiopien Mohammed Al-Amoudi.
Le groupe d'Al-Amoudi a déclenché une procédure d'arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), et réclame au Maroc 1,5 milliard de dollars pour "dommages subis", à la suite de la mise en faillite de la Samir.