Quels enseignements tirer des résultats de l’Eurobond du Maroc?

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Fort du succès de l’Eurobond, le ministère des Finances a entamé une réflexion sur la possibilité de continuer à profiter des conditions favorables à l’international et mobiliser les financements nécessaires à la réalisation de certains projets structurants pour l’avenir du Maroc.

Le 23/11/2019 à 17h39

Le 21 novembre est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la dette publique au Maroc. Le gouvernement a décidé ce jour-là de lancer un emprunt international, pour un montant de 1 milliard d’euros, d’une maturité de 12 ans.

Le Maroc, un bon risque à prendreAu siège du ministère des Finances à Rabat comme dans les salles des marchés des banques, l’émotion était grande à l’annonce des résultats de l’opération: un taux d’intérêt limité à 1,5% (soit le niveau le plus bas jamais obtenu par le Maroc), couplé à un engouement sans précédent des investisseurs internationaux. L’émission de l’eurobond a été sursouscrite plus de 5 fois, ce qui veut dire que le Maroc aurait pu mobiliser en absolu jusqu’à 5,3 milliards d’euros, sachant que la loi de finances 2019 avait fixé un plafond d’endettement à ne pas dépasser.

Outre l’impact direct sur les réserves de change et, par conséquent, sur la liquidité des banques, la nouvelle sortie du Trésor servira surtout à établir un benchmark pour la signature «Morocco», ouvrant ainsi la voie à d’autres émetteurs (entreprises publiques) souhaitant se financer sur le marché international.

Réussir à convaincre plus de 285 investisseurs, et pas n’importe lesquels (gestionnaires de fonds, compagnies d’assurances, fonds de pension, etc), à prêter 1 milliard d’euros et à accepter à se faire rembourser d’ici 2031 contre une simple rémunération de 1,5%, voilà un exploit historique qui mérite bien d’être souligné.

L’opération de ce jeudi 21 novembre marque ainsi le retour du Maroc sur le marché financier international après une absence de 5 ans. En effet, le royaume est déjà engagé dans quatre emprunts internationaux dont deux libellés en euros, lesquels expirent respectivement en 2020 (1 milliard) et en 2024 (1 milliard). Les deux autres ayant été émis en dollars, leur échéance est prévue respectivement pour 2022 (1 milliard) et 2042 (500 millions).

La nouvelle ligne ouverte, jeudi, sur le marché de la dette souveraine a la particularité d’être assortie à une prime de risque (spread) de 139,7 points de base, soit le niveau le plus bas jamais obtenu par le Maroc. «Les primes de risque associées aux anciennes émissions pouvaient atteindre 200 voire 275 points de base mais concordaient avec celles d’autres pays comparables. La baisse significative du spread ces dernières années reflète l’engouement pour les titres émis par le Maroc, surtout que les sorties du royaume se font très rares. La signature du Maroc est très prisée par les investisseurs internationaux», explique un responsable de salle de marché d’une grande banque de la place.

Les résultats de l’opération du 21 novembre donnent au Maroc une place de choix sur le marché de la dette souveraine. «Nous ne comparons plus avec l’Afrique ou bien le monde arabe. Les conditions obtenues par le Maroc sont bien meilleures que celles accordées à un certain nombre de pays européens. Mieux, le coût [taux d’intérêt] négocié lors de cette sortie est pratiquement quatre fois inférieur à celui supporté par certains pays de la région», ajoute ce haut responsable au ministère des Finances. Ce dernier, également membre de la délégation marocaine qui a sillonné l’Europe (Paris, Zurich, Londres, Francfort et Amsterdam/La Haye) à la rencontre des investisseurs, se dit profondément marqué par le degré de confiance des zinzins internationaux envers le royaume.

La vérité des marchés

Les marchés, dit-on, ont toujours raison. Le fait qu’un fond de pension vient placer l’épargne collectée auprès de la population japonaise, chinoise ou autres, en misant sur les titres de dette émis par le Maroc pour une durée de 12 ans, le choix n’est assurément pas vide de sens.

Le verdict des marchés sonne comme une douche froide pour certains commentateurs, y compris dans le milieu des affaires, qui broient du noir en dressant souvent un tableau apocalyptique de la situation économique du pays.

Trois facteurs clés ont joué en faveur du Maroc, nous confie ce membre de la délégation marocaine qui a pris part au road show précédant l’émission d’eurobonds:

-Un, la stabilité du pays tend à renforcer la confiance dans son économie. Le leadership du roi Mohammed VI a d’ailleurs été salué par tous les investisseurs rencontrés lors du road show.

-Deux, les réformes entreprises par le Maroc dans le cadre de la modernisation de son économie ont été payantes. Toutes les agences internationales de notation (Standard & Poor’s, Fitch, Moody’s) s’accordent à applaudir les efforts menés dans ce sens.

-Trois, la maîtrise des équilibres macro-économiques et la résilience dont a fait preuve l’économie malgré la succession de plusieurs chocs externes (printemps arabe, hausse des prix du pétrole, etc).

Le Maroc a toujours réussi à préserver son déficit budgétaire autour de 3,5% du PIB. Même dans les pires moments, l’on parvient toujours à préserver un stock d’avoirs en devises assez suffisant pour combler les besoins de 5 à 6 mois d’importations. Un pays comme la Tunisie, qui affiche 4,8% de déficit en 2018, a dû payer cher un emprunt similaire lancé en juillet dernier, en s’attribuant un coupon de 6,37% pour un eurobond de 700 millions d’euros et une maturité de 7 ans.

Il convient de noter que le taux négocié par le Maroc pour son eurobond (1,5%) est plus intéressant que celui que proposent les institutionnels marocains sur le marché secondaire local (le taux à 10 ans sur les bons du Trésor est à 2,90%).

Autrement dit, les conditions de financement proposées par les marchés internationaux sont nettement plus favorables que celles disponibles sur le marché intérieur. Mieux encore, le taux de 1,5% correspond au même niveau obtenu par le Maroc dans le cadre des financements dits concessionnels, généralement adossés à des exigences plus strictes (emprunts mobilisés auprès de la Banque mondiale, la BAD, l’Agence française de développement, etc).

Face à cette nouvelle configuration du marché monétaire, l’arbitrage du gouvernement devrait tourner davantage vers la dette extérieure, après avoir misé pendant de longues années sur le marché intérieur. Au sein du ministère des Finances, plusieurs responsables estiment que le contexte actuel, appuyé par un déficit minutieusement maîtrisé, pousse à examiner d’autres possibilités d’endettement. «Il y a de la marge pour aller s’endetter sur le marché international si on veut financer deux ou trois projets structurants pour l’avenir du Maroc. Il faut savoir que pour un emprunt de 1 milliard d’euros, l’écart entre 1,5% et 6% de taux d’intérêt se chiffre en plusieurs centaines de millions de dirhams au titre des charges et intérêts», soutient un cadre de la direction du Trésor et des financements extérieurs.

En tout cas, l’idée donne déjà quelques pistes de réflexion et rien n’exclut de nouvelles sorties du Trésor sur le marché international avec l’objectif de mobiliser les financements de mégaprojets, tels que la LGV Marrakech -Agadir ou encore la voie-express Agadir-Dakhla, pour ne citer que ces deux-là, qui ont fait l’objet d’une attention particulière du souverain dans son dernier discours prononcé à l’occasion de la fête de l’Indépendance.

Par Wadie El Mouden
Le 23/11/2019 à 17h39