Paiements en devises: une libéralisation qui reconfigure la chaîne de valeur du change

Le siège de l'Office de changes, à Rabat.

En ouvrant aux agents de change accrédités la possibilité de traiter les opérations en devises via cartes bancaires internationales, l’Office des changes active un levier économique majeur dans un segment qui a dépassé 37 milliards de dirhams d’achats de devises par les particuliers en 2024. Cette décision, adossée à une stratégie nationale de modernisation des paiements, pourrait réduire la dépendance structurelle au cash, renforcer la traçabilité financière et optimiser l’équilibre entre flux formels et informels.

Le 17/12/2025 à 08h47

La circulaire publiée par l’Office des changes introduit une innovation fondamentale: permettre aux agents accrédités d’utiliser des terminaux de paiement électronique afin d’effectuer des achats de devises contre dirhams à partir de cartes bancaires internationales. Les clients pourront également recevoir des cartes prépayées chargées en dirhams, ouvrant ainsi un circuit fluide entre les moyens de paiement internationaux et l’économie domestique.

Une telle mesure intervient alors que les paiements internationaux enregistrent une croissance soutenue. D’après l’Office des Changes, les dépenses des Marocains à l’étranger ont atteint 21,6 milliards de dirhams (MMDH) à fin septembre 2025, soit une hausse annuelle proche de 8%, tandis que les transactions de commerce électronique transfrontalier progressent au-delà de 20%, selon les données consolidées de Bank Al-Maghrib. La numérisation de ces opérations par le secteur du change manuel constitue donc une réponse structurelle à la montée en charge des paiements digitaux dans un marché historiquement dominé par les espèces.

Le Maroc reste l’une des économies les plus attachées au cash, paradoxe à l’heure où la bancarisation et les paiements digitaux ne cessent de gagner du terrain. Selon le rapport annuel 2024 de Bank Al-Maghrib, la monnaie fiduciaire en circulation atteint 444 MMDH, soit 28,2% du PIB, un niveau qualifié de «structurellement élevé» par l’institution. L’essor des opérations de change par cartes internationales pourrait ainsi contribuer à réduire la pression sur la circulation fiduciaire.

Cette transition répond à un double impératif. D’une part, réduire les coûts logistiques et opérationnels liés à la circulation du cash, que Bank Al-Maghrib évalue à près de 0,5% du PIB. D’autre part, accroître la traçabilité des flux dans un segment historiquement marqué par des arbitrages informels. Les agents de change – plus de 1.000 points répartis sur l’ensemble du territoire – sont ainsi embarqués dans une dynamique qui aligne progressivement leurs opérations sur les standards technologiques en vigueur dans les réseaux bancaires.

L’enjeu dépasse donc la seule recherche d’efficacité opérationnelle: il s’agit d’un repositionnement structurel d’un marché qui, en se digitalisant, sera en mesure d’absorber davantage de flux formels, de réduire les asymétries d’information et d’améliorer la qualité statistique des données de change, indispensables aux prévisions macroéconomiques de l’Office des Changes et de Bank Al-Maghrib.

La décision de l’Office des changes s’inscrit explicitement dans l’architecture nationale de conformité. Le communiqué officialise l’alignement sur la recommandation n°17 du Groupe d’action financière (GAFI), qui encourage le recours à des tiers soumis aux mêmes règles de vigilance et impose la traçabilité intégrale des transactions.

L’utilisation des cartes internationales via TPE génère automatiquement des traces numériques vérifiables, enrichissant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Selon Bank Al-Maghrib, les incidents de paiement et anomalies déclarées ont diminué de 11% en 2024, démontrant l’effet stabilisateur de la digitalisation sur la qualité de la supervision financière.

L’intégration des opérations de change dans ce mouvement renforce l’alignement du Maroc avec les standards internationaux évalués périodiquement par le GAFI et améliore la notation de risque associée aux flux de devises. Elle contribue également à sécuriser les opérations pour les voyageurs, les professionnels et les entreprises opérant sur des marchés diversifiés.

Une contribution potentielle à la compétitivité touristique et aux flux extérieurs

La réforme intervient dans un contexte où le Maroc renforce sa position de destination internationale majeure. Les recettes touristiques ont progressé de 12% à fin septembre 2025, d’après l’Office des Changes, soutenues par une diversification des marchés émetteurs et par un rebond marqué de la demande européenne et américaine. L’introduction d’un mode de paiement digitalisé chez les agents de change pourrait faciliter l’accès aux dirhams pour les visiteurs étrangers, améliorer leur expérience de séjour et réduire l’écart existant entre le secteur formel et les circuits alternatifs de conversion.

La mesure pourrait également favoriser les flux financiers liés aux investissements étrangers dans un contexte où le pays a capté 21,8 MMDH d’IDE (Investissements directs étrangers) en 2024, selon les données officielles. L’amélioration du cadre de paiement contribue en effet à réduire les frictions transactionnelles, un élément crucial pour les investisseurs internationaux qui opèrent sur des chaînes de valeur globalisées.

En autorisant les paiements en devises par cartes internationales, l’Office des changes dépasse la simple modernisation technique. Il consolide un pilier essentiel du système financier marocain en créant un continuum numérique entre la demande croissante en devises, l’évolution des comportements de paiement et les exigences accrues de conformité internationale.

Cette réforme agit comme un multiplicateur structurel avec le soutien de la lutte contre l’informel, réduit les coûts macroéconomiques du cash, renforce la compétitivité touristique, améliore la gouvernance des flux financiers et modernise une activité qui demeure stratégique pour la balance des paiements. Les institutions publiques y trouvent également un avantage: une remontée d’informations plus fine, un contrôle renforcé et une capacité accrue à anticiper les évolutions de la demande en devises.

Depuis plusieurs années, le Maroc, engagé dans une transformation profonde de ses infrastructures financières conformément aux orientations de Bank Al-Maghrib et du ministère de l’Économie et des Finances, poursuit ainsi l’un de ses chantiers les plus structurants: l’intégration progressive des paiements dans un écosystème numérique régulé, transparent et compétitif.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 17/12/2025 à 08h47