Médicaments génériques: médecins et pharmaciens s’affrontent sur la question de la substitution

Des médicaments dans une pharmacie. (Photo d'illustration)

Alors que le ministère de la Santé prépare un guide des médicaments génériques, médecins et pharmaciens s’opposent sur la question de la substitution. Sécurité des patients, formation, responsabilité, équilibre économique: chaque camp avance ses arguments dans un dossier à forts enjeux pour l’avenir du système de santé marocain. Avis de Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en systèmes et politiques de santé et Amine Bouzoubaa, SG de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc.

Le 13/11/2025 à 10h35

La coordination syndicale des médecins généralistes du secteur privé, composée de quatre organisations représentatives du secteur de la santé, a adressé une lettre au ministre Amine Tahraoui pour exprimer sa profonde inquiétude face au projet d’élaboration du Guide des médicaments génériques par le ministère de la Santé et de la Protection sociale.

Les médecins y dénoncent un texte entaché de dysfonctionnements techniques, humains et organisationnels et demandent la suspension immédiate du projet, estimant qu’il fait peser des risques réels sur la sécurité des patients.

Selon eux, la disposition permettant au pharmacien de remplacer un médicament prescrit par son équivalent générique sans accord préalable du médecin constitue «une atteinte au principe de la responsabilité médicale».

Des risques cliniques et organisationnels selon les médecins

Tout en se déclarant favorables à une politique favorisant l’accès aux traitements et la réduction des coûts, les signataires pointent plusieurs lacunes: absence d’équivalence biologique avérée entre certains génériques et leurs originaux, déficit d’études scientifiques, et manque de contrôle sur la qualité et la traçabilité des substitutions pharmaceutiques.

La coordination évoque de fortes disparités de qualité entre les laboratoires, ainsi que des différences dans les composants secondaires susceptibles de provoquer des effets indésirables, notamment chez les patients atteints de maladies chroniques ou sensibles à certains additifs.

Elle estime également que l’absence d’un système numérique unifié de suivi des médicaments rend impossible un contrôle efficace des remplacements.

Les médecins alertent par ailleurs sur l’absence observée parfois de pharmaciens titulaires dans leurs officines, laissant la substitution à des assistants «dont la formation scientifique et juridique demeure insuffisante», ce qui, selon eux, accroît le risque d’erreurs thérapeutiques.

Enfin, ils dénoncent «une démarche technico-administrative et verticale» dans la préparation du guide, sans véritable concertation scientifique ni implication des instances médicales et pharmaceutiques. Ils réclament un moratoire sur le projet, dans l’attente d’une refonte «transparente et fondée sur des critères scientifiques solides».

Tayeb Hamdi: «La substitution doit reposer sur la bioéquivalence, la sécurité et un cadre économique équitable»

Pour mieux comprendre les enjeux techniques et cliniques du dossier, Le360 a interrogé Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en systèmes et politiques de santé. Selon lui, la question ne se limite pas à un débat entre professions, mais concerne «la sécurité, l’équité et la rationalisation du système de santé».

Il rappelle que «le médicament générique doit faire l’objet d’une étude de bioéquivalence démontrant qu’il possède la même efficacité et la même sécurité que le médicament de marque». Or, certains traitements -comme ceux de l’épilepsie ou de la thyroïde- présentent une marge thérapeutique étroite, où une variation minime peut provoquer des effets graves: «Ces médicaments ne devraient pas être substitués», prévient-il.

Le chercheur souligne également les risques particuliers pour les enfants de moins de six ans, souvent liés à l’absence de formes galéniques adaptées: «Lorsqu’aucun médicament générique ne propose une présentation adaptée, comme une pipette ou un sachet, la substitution devient inappropriée. On ne peut pas donner un comprimé ou une gélule à un nourrisson», insiste-t-il.

Efficacité et équité: des conditions pour une substitution réussie

Pour Tayeb Hamdi, la substitution médicamenteuse doit s’inscrire dans une logique globale de neutralité ou de bénéfice financier pour le patient: «Le malade ne doit jamais payer plus cher, ni être désavantagé par le choix d’un générique».

Il met également en avant l’enjeu d’optimisation des coûts pour le système de santé: «L’usage raisonné des médicaments génériques permet de réduire les dépenses pour les patients, les caisses d’assurance maladie et le système de santé dans son ensemble. C’est un levier essentiel pour rendre notre système plus efficient et plus durable, à condition qu’il soit encadré scientifiquement et juridiquement».

Une équité économique nécessaire pour les pharmaciens

Notre interlocuteur estime que la réussite de la substitution passe aussi par une neutralité financière pour le pharmacien: «Si le pharmacien perd de l’argent en délivrant le médicament le moins cher, il sera dissuadé de le faire».

Il préconise donc un changement du mode de calcul des marges, fondé non sur le prix du médicament, mais sur la molécule elle-même. Cette approche permettrait d’encourager les pharmaciens à proposer les médicaments les plus économiques sans compromettre leur équilibre financier.

Le chercheur propose également d’introduire un droit de refus pour le patient et pour le médecin, à condition que ce refus soit justifié par des raisons médicales objectives, telles qu’une marge thérapeutique étroite ou une intolérance connue.

Enfin, il appelle à une moralisation du circuit du médicament, à travers l’interdiction des marchés directs entre laboratoires et pharmacies, le renforcement de la pharmacovigilance, et la généralisation des études de bioéquivalence avant toute autorisation de mise sur le marché.

«La formation des assistantes n’a rien à voir avec la question de la substitution»

Interrogé sur les critiques formulées par certains médecins quant à la compétence des assistantes en pharmacie pour gérer les substitutions, Tayeb Hamdi se montre catégorique: «Je ne suis pas d’accord sur la relation que l’on fait entre la question de la substitution des médicaments et la formation des assistantes en pharmacie. En fait, si une assistante de pharmacie n’est pas capable de gérer la substitution des médicaments, c’est qu’elle n’est pas compétente d’une manière générale pour gérer la vente des autres médicaments et le conseil en pharmacie».

Pour lui, la question est avant tout celle de la compétence professionnelle et du contrôle des pratiques, et non un argument contre la substitution elle-même.

Amine Bouzoubaa: «La substitution n’est pas une rivalité de professions, mais une coopération sanitaire»

Interrogé également à ce sujet par Le360, Amine Bouzoubaa, secrétaire général de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, voit dans l’élaboration du guide des médicaments génériques «une avancée structurante» pour le système de santé marocain, à condition qu’il soit aligné sur les standards internationaux de bioéquivalence et de transparence scientifique.

Concernant les critiques liées à la présence du pharmacien, il rappelle que «le titulaire reste légalement responsable de tout acte pharmaceutique réalisé dans son officine» et qu’il appartient à la profession de mettre en place des protocoles de substitution traçables et normalisés.

Pour lui, la solution passe par l’inscription automatique des substitutions dans le système de facturation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), garantissant ainsi une traçabilité complète et un contrôle permanent par le pharmacien responsable.

Quant à la crainte des effets indésirables, Bouzoubaa appelle à un cadre de pharmacovigilance partagé entre médecins et pharmaciens: «Ce n’est pas un transfert de responsabilité, mais une coresponsabilité dans la continuité du soin», insiste-t-il.

«Une liste de médicaments non substituables serait utile»

Le représentant des pharmaciens reconnaît que certaines situations nécessitent des exceptions: «Il est normal qu’une liste de médicaments à marge thérapeutique étroite soit exclue de la substitution automatique, comme c’est le cas en France ou au Canada».

Il affirme également que les différences d’excipients doivent être évaluées au cas par cas, en concertation avec le patient et le médecin, «car la substitution ne doit jamais être un acte mécanique, mais une décision clinique raisonnée».

Bouzoubaa plaide enfin pour une formation commune entre médecins et pharmaciens sur la bioéquivalence, la pharmacovigilance et le cadre juridique de la substitution: «C’est en partageant la même culture scientifique que nous renforcerons la confiance mutuelle».

Vers un compromis pour une réforme équilibrée

Ce débat montre que la réussite du Guide des médicaments génériques dépendra de la qualité du dialogue entre les acteurs du système de santé. Les médecins veulent des garanties de sécurité et de responsabilité, les pharmaciens défendent leur compétence et leur rôle dans la continuité du soin.

Entre impératifs économiques et sécurité sanitaire, le Maroc se trouve à un tournant décisif: celui de concilier l’accès équitable aux traitements et la confiance entre les professionnels de la santé.

Comme le résume Amine Bouzoubaa: «Ni le médecin ni le pharmacien n’ont à perdre. C’est le patient qui doit rester au centre de la confiance partagée».

Par Lahcen Oudoud
Le 13/11/2025 à 10h35