La crise de l’eau qui affecte aujourd’hui de nombreuses régions du monde résulte à la fois de facteurs conjoncturels et de fragilités structurelles. «Le réchauffement climatique, phénomène global nécessitant une réponse internationale coordonnée, et la surexploitation locale des ressources hydriques constituent les deux dimensions majeures de cette situation», indique le magazine Challenge. Ces enjeux, qui appellent des approches multidisciplinaires et une coopération multilatérale renforcée, sont au cœur des réflexions animant le 19ᵉ Congrès Mondial de l’Eau, présenté comme un cadre propice à l’élaboration de solutions plus inclusives.
La raréfaction de l’eau impose des mesures rapides, aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle planétaire. La dépendance vitale de l’être humain à cette ressource fondamentale rappelle l’importance d’intégrer la gestion durable de l’eau dans l’ensemble des activités humaines. Si le changement climatique demeure la principale cause de la crise actuelle, ses effets varient fortement selon les régions. L’Afrique du Nord figure parmi les zones les plus exposées au stress hydrique, contrairement à des pays comme le Brésil, la Colombie, le Canada ou la Russie, où la pression sur les ressources demeure modérée. Dans ce contexte, la situation du Maroc est devenue particulièrement préoccupante.
Un rapport récent de l’Institut Royal des Études Stratégiques souligne qu’en deux décennies, le pays est passé d’un simple stress hydrique à une véritable rareté de l’eau, menaçant par moments l’accès même à l’eau potable. L’approvisionnement annuel en eau douce par habitant a été divisé par plus de quatre depuis les années 1960, passant de 2500 m³ à moins de 600 m³ aujourd’hui. La qualité des eaux s’est également dégradée, accentuant les risques sanitaires. Pour l’IRES, l’urgence d’une refonte profonde des politiques publiques est manifeste, avec la nécessité d’articuler stratégies nationales, actions territoriales et coopération multilatérale, afin d’obtenir des résultats concrets, rapporte Challenge.
La profondeur de la crise reflète l’interdépendance des économies dans un monde confronté à un réchauffement global largement provoqué par le modèle industriel et énergétique développé au cours des XIXᵉ et XXᵉ siècles. Le Maroc, situé en zone semi-aride, subit une fréquence accrue des sécheresses, une irrégularité marquée des précipitations et un ralentissement du renouvellement des réserves hydriques. En 2020, le potentiel en eau naturelle était de 22 milliards de m³ par an, dont une majorité issue des eaux superficielles retenues dans les barrages. La répartition territoriale reste fortement déséquilibrée, les régions du Nord et du Centre concentrant plus de la moitié des ressources.
L’assèchement des eaux de surface a conduit à une sollicitation croissante des nappes phréatiques. Le Maroc compte 130 nappes, dont la surexploitation se manifeste par une forte baisse du taux de renouvellement et du niveau piézométrique. Or ces nappes jouent un rôle déterminant, puisqu’elles fournissent de l’eau potable à plus de 90% des populations rurales et assurent près de 40 % de l’irrigation agricole. Selon l’IRES, certaines politiques publiques, en particulier dans le secteur agricole, ont accentué cette pression sur les ressources hydriques.
L’agriculture demeure de loin le principal consommateur d’eau, absorbant près de 90 % des volumes utilisés chaque année. La progression démographique, l’évolution des modes de vie et la hausse du niveau de vie contribuent également à la hausse de la demande. Parallèlement, la qualité des eaux se détériore sous l’effet de l’expansion des cultures irriguées destinées à l’export, de l’usage intensif d’engrais et de pesticides, et de la disparition de zones humides essentielles. Selon l’INRA, 60 à 80% de ces milieux ont disparu malgré l’adhésion du Maroc à la Convention Ramsar. «L’extension des cultures en altitude accentue par ailleurs l’assèchement de certaines sources, fragilisant des écosystèmes autrefois considérés comme des réservoirs naturels, comme ceux du Moyen Atlas», note Challenge.
Les autorités ont longtemps privilégié un modèle fondé sur l’augmentation de l’offre, reposant sur les barrages et le développement d’infrastructures hydrauliques. Ce modèle a permis des avancées significatives, notamment l’accès à l’eau potable pour presque toute la population et l’irrigation de plus de deux millions d’hectares. Mais il atteint aujourd’hui ses limites, alors que les ressources se raréfient et que les nappes s’épuisent à un rythme irréversible. À cela s’ajoutent des insuffisances de coordination institutionnelle, un manque de moyens humains et logistiques dans les structures régionales et une faiblesse du système d’information sur l’eau, qui limite la capacité de planification.
Les enjeux liés à l’eau ont pourtant été régulièrement soulignés dans les discours royaux, et plusieurs instances dédiées ont été créées depuis les années 1980, comme le Conseil supérieur de l’eau et du climat ou le Conseil national de l’environnement. Leur dynamisation et une application plus effective des lois adoptées, notamment celles de 1995 et 2015, figurent parmi les axes jugés prioritaires pour améliorer la gouvernance hydrique.
À l’échelle mondiale, les données rappellent l’ampleur du défi. Bien que l’eau recouvre plus des deux tiers de la surface terrestre, l’eau douce réellement disponible demeure extrêmement limitée. Neuf pays concentrent à eux seuls près de 60% des ressources, parmi lesquels la Russie, le Canada, les États-Unis, le Brésil ou la Chine. Un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable, et les consommations varient fortement d’une région à l’autre, de 250 litres par jour et par habitant en Amérique du Nord à moins de 10 litres en Afrique subsaharienne.
Face à ces contrastes et aux tensions croissantes sur les ressources, la gestion durable de l’eau apparaît désormais comme un impératif stratégique global. Le Maroc, comme d’autres pays soumis à des contraintes hydriques sévères, se trouve à un moment charnière où la mise en œuvre rapide de solutions intégrées conditionne non seulement la sécurité hydrique, mais aussi la stabilité économique, sociale et environnementale des prochaines décennies.








