LE360.ma: Vous aviez dit en conférence de presse que les professionnels ont le sentiment que le Tourisme n'est plus la priorité du Gouvernement. Pourquoi ?Abdelatif Kabbaj : C’est un sentiment partagé par la plupart d’entre nous. Le Gouvernement actuel pense peut être que le Tourisme est aujourd’hui lancé et que la priorité doit être donnée à l’Agriculture, à l’industrie ou aux services délocalisés en proposant une main d’œuvre bon marché. Pour notre part et tant que les objectifs de la Vision 2020 ne sont pas atteints, nous avons besoin de l’appui total du gouvernement qui est signataire avec nous du contrat programme Vision 2020.Nous allons lancer, en 2016, les Etats généraux du Tourisme, un évènement durant lequel nous ferons le bilan à mi-mandat de ce qui aura été fait et de ce qui bloque et qui n’est pas de notre ressort. Nous serons très critiques envers nous-mêmes mais également envers tous nos partenaires.
LE360.ma: Le secteur attend la mise en place la Haute Autorité du Tourisme ainsi que des Agences de développement régional. En tant que président de la CNT, quelle importance accordez-vous à la nouvelle gouvernance qui doit être mise en place?
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Abdelatif Kabbaj : Dans les priorités de notre mandat, nous avons placé la gouvernance en premier lieu, aussi bien au niveau du public que du privé.Au niveau national, la Haute Autorité du Tourisme devrait voir le jour dans le premier semestre de cette année. Cela nous permettra d’activer le chantier Azur 2020 et les freins à l’investissement qui y sont liés. Outre le bureau exécutif de la CNT, nous comptons beaucoup sur le Conseil Consultatif du Tourisme afin d’appréhender cette instance de manière sereine et partagée.Concernant la gouvernance régionale, la mise en place des Fédérations Régionales du Tourisme sera un élément catalyseur pour l’urgence d’une instance publique/privée, CRT, ADT ou autre qui permettra dans le cadre de la régionalisation avancée de mener à bien les Contrats programmes régionaux qui attendent leur exécution.
LE360.ma: Le Maroc devrait recevoir cette année autour de 11 millions de touristes (8,9 déjà comptabilisés à fin octobre), contre un objectif de 19 à 20 millions à l'horizon 2020. Que doit-on faire pour gagner 9 millions de touristes supplémentaires en 6 ans?
Fouzi Zemrani : Comme vous le savez certainement, l’objectif de 10 millions de touristes en 2010 était un slogan mobilisateur qui tablait avant tout sur une offre balnéaire complémentaire basée sur l’exécution du plan Azur.Actuellement, les chiffres obtenus le sont plus par une offre nouvelle qui s’est plus développée à Marrakech qui a vu sa capacité tripler en quelques années avec l’ouverture de plusieurs resorts de qualité. La seule offre balnéaire existante en tant que telle reste Agadir, qui doit se mettre à niveau, et l’accélération de Taghazout est devenue aujourd’hui une urgence.
LE360.ma: Et Saïdia, Mazagan, Mogador, Lixus, ... Que devra-t-on faire, puisque vous avez affirmé qu’elles font partie de vos priorités ?Abdelatif Kabbaj : Il faut évidemment les terminer, à commencer par la Station de Saïdia tant sur la partie hébergement hôtelier que sur la partie animation. Resteront les autres stations de l’Atlantique Mogador et Mazagan qui ont une saisonnalité intéressante mais dont la taille critique n’est pas encore atteinte pour attirer les Tour Operateurs.Une fois ces chantiers terminés, s’attaquer aux stations restantes avec une stratégie marketing différenciée de façon à ne pas cannibaliser celles existantes.
LE360.ma: Au cours des trois premières années de la vision 2020, peu de nouveaux hôtels ont vu le jour, alors que l'objectif est de créer 200.000 nouveaux lits entre 2011-2020. Qu'est-ce qui devrait être fait?Fouzi Zemrani: Le déficit en capacité d’hébergement provient essentiellement du retard pris par le plan Azur. Les 200.000 lits devaient être en balnéaire. Pour ce qui est du culturel, il y avait un Plan Mada’in qui devait mettre à niveau et doubler les capacités litières des villes impériales, Rabat, Meknès, Fez et Marrakech. Seule la ville de Marrakech a réussi sa mue, bizarrement sans plan de développement touristique. Aujourd’hui, avec le changement de modèle économique dû essentiellement à l’open Sky, les TO qui commercialisaient les circuits sont en perte de vitesse; n’ayant plus le monopole de l’aérien, ils n’osent plus s’aventurer à faire du Charter. La stratégie low-cost et point à point a montré ses limites et, si Marrakech arrive à tirer son épingle du jeu, c’est aussi au détriment de la durée moyenne de séjour qui s’est réduite à un city break. Quant aux autres villes impériales, elles ont vu leurs taux de remplissage se dégrader d’année en année.
LE360.ma: Le taux de remplissage des hôtels est autour de 50%. Ne risque-t-on pas de causer plus de problèmes au secteur si l'on ne redimensionne pas les objectifs de la vision?Fouzi Zemrani : Effectivement, pour être rentable, il faut atteindre 70% de remplissage. Cela veut dire qu'il faudra amener 4 à 5 millions de touristes supplémentaires sans construire de nouveaux hôtels.Il est clair, au vu des résultats actuels, que nous gagnerons à faire une pause dans les territoires qui enregistrent en ce moment une surcapacité litière en incohérence avec la capacité aérienne. Au-delà du faible taux de remplissage, cet état de fait paupérise la destination et impacte les prix, créant un climat délétère sur les prix, la qualité et bien sûr le produit.
LE360.ma: Beaucoup de professionnels craignent que le faible taux de remplissage ne soit à l’origine d’une concurrence malsaine. Que proposez-vous ?Abdelatif Kabbaj : La qualité doit être le maître mot des prochaines années, en capitalisant sur des ressources humaines bien formées et bien rémunérées, une pédagogie auprès des populations tant urbaines que périphériques afin de les sensibiliser à la fragilité du tourisme et ses bienfaits à moyen terme sur l’emploi et la richesse. Le produit doit être aujourd’hui étoffé par une offre loisirs et MICE (meeting, incentives, conferences, exhibitions) et l’investissement doit être dirigé vers les parcs d’animation, les parcs d’expositions, les palais des congrès, les musées et autres produits à même de faire l’attractivité de la destination.