L’Afrique de l’Est reste l’une des zones les moins explorées par les investisseurs marocains, alors même qu’elle constitue aujourd’hui le principal moteur de croissance du continent. Un constat qu’effectue le magazine Challenge, qui consacre une analyse approfondie au sujet. Forte d’une dynamique démographique soutenue (plus de 300 millions d’habitants) et d’une urbanisation accélérée, la région s’appuie sur une intégration économique structurée autour de l’East African Community (EAC). Depuis une dizaine d’années, elle attire un volume croissant d’investissements étrangers, notamment en provenance de Chine, de Turquie, d’Inde ou des États-Unis. Le PIB combiné des pays de l’EAC progresse quasiment sans interruption, porté principalement par le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie et le Rwanda.
Malgré un rapprochement politique entre Rabat et plusieurs capitales de cette zone, les entreprises marocaines restent en retrait, hormis quelques initiatives dans la banque, les télécommunications ou l’agro-industrie, a-t-on dans Challenge. La région, moins médiatisée et peu francophone, exige pourtant un changement de regard. Elle est devenue l’un des espaces les plus stratégiques du continent et offre des perspectives qui correspondent souvent aux compétences marocaines.
Pour appréhender ce marché, il faut d’abord tenir compte de son hétérogénéité. L’Afrique de l’Est n’est pas un bloc uniforme: le Kenya s’impose comme hub financier et digital, l’Éthiopie conserve un modèle dominé par l’État et l’industrie, la Tanzanie privilégie le développement des infrastructures, le Rwanda mise sur la gouvernance, les services et la technologie. Chaque pays avance selon une trajectoire propre, avec ses contraintes réglementaires et ses priorités sectorielles. Un investisseur marocain doit donc définir précisément son marché d’entrée, adapter ses offres et comprendre les orientations économiques locales, un point souvent négligé.
Citant un rapport publié en 2025 sur le développement des infrastructures en Afrique, Challenge avance que le continent aurait besoin de 155 milliards de dollars d’investissements annuels jusqu’en 2040 pour atteindre les standards des pays de référence. L’Afrique de l’Est figure parmi les régions les plus demandeuses, ce qui met en évidence l’ampleur des opportunités dans les travaux publics, la logistique ou l’ingénierie.
La région bénéficie par ailleurs d’un flux croissant d’IDE, porté par les différents marchés intégrés. Le marché intérieur de l’EAC représente plus de 174 millions de consommateurs, tandis que le COMESA regroupe 20 États et plus de 460 millions d’habitants. Le Rwanda, le Kenya, l’Ouganda et le Burundi sont membres de cette organisation, tandis que la Tanzanie appartient à la SADC, qui compte 15 États dont l’Afrique du Sud. Ces enchevêtrements d’accords offrent une profondeur de marché considérable et facilitent l’accès à des débouchés continentaux et internationaux.
Ces indicateurs montrent que la région n’est plus seulement un pari de long terme, mais un espace en pleine effervescence, où la demande croît rapidement et où des marges de croissance existent pour les investisseurs les mieux préparés. Cité par Challenge, Hassan Sentissi El Idrissi, président de l’Asmex, explique qu’il est nécessaire d’établir des bases solides pour renforcer cette coopération. Il évoque notamment l’harmonisation des normes, le renforcement des liaisons aériennes et terrestres, ainsi que la mise en place d’une confédération des entreprises africaines.
Les zones d’opportunité prioritaires mises en avant par l’Africa Growth Forum concernent les infrastructures, dont les besoins restent très élevés, l’agriculture et l’agro-industrie, où les entreprises marocaines disposent d’un avantage grâce à leur expertise dans les engrais, l’irrigation ou la transformation, les énergies renouvelables, avec des potentiels hydroélectriques, géothermiques ou solaires, le digital et les services financiers, dominés par le Kenya mais dynamisés par l’ambition technologique du Rwanda ainsi que les services, notamment la santé, l’éducation et les prestations aux entreprises.
Au Kenya, les autorités mettent en place un ensemble d’incitations fiscales destinées à attirer les investisseurs. Elles prennent principalement la forme de déductions de capital liées à la construction de bâtiments industriels, d’hôtels ou d’infrastructures éducatives, avec des taux spécifiques selon la nature des projets. Les entreprises opérant en zones franches bénéficient par ailleurs d’exonérations d’impôts sur les sociétés, de retenues à la source, de TVA ou de droits de douane, ainsi que d’avantages sur les nouveaux investissements réalisés dans les bâtiments et les machines.
Les experts recommandent aux investisseurs marocains de privilégier des stratégies d’entrée structurées, car une implantation isolée comporte des risques. Les modèles les plus adoptés incluent la joint-venture avec un partenaire local, les partenariats public-privé, le co-investissement avec des fonds régionaux ou une implantation progressive via une filiale commerciale, avant de développer une activité productive.







