Entre pression politique, lobbying intense et bataille commerciale, la tomate marocaine est à nouveau au centre d’une polémique en Europe. Victime collatérale des difficultés structurelles de l’agriculture européenne (coût du travail élevé, compétitivité affaiblie, exigences de montée en gamme), elle se retrouve dans le viseur des producteurs français, inquiets de sa percée sur le marché.
«À l’approche du 4 octobre, date butoir fixée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) après son arrêt d’octobre 2024, les lobbies agricoles redoublent d’efforts pour pousser Bruxelles à durcir sa position vis-à-vis du Maroc», indique le magazine Challenge. Pour mémoire, la CJUE avait annulé les accords de pêche et d’agriculture conclus entre l’UE et le Royaume, invoquant l’absence de consentement des populations du Sahara. Toutefois, l’accord agricole avait été maintenu à titre transitoire pour une durée de douze mois, afin d’éviter un choc brutal dans les relations commerciales.
Depuis plusieurs semaines, producteurs et organisations agricoles françaises et espagnoles multiplient les contacts et les réunions en coulisses. «Leur cible: la tomate marocaine, et plus particulièrement la tomate cerise, vendue à moitié prix par rapport aux productions locales. Très prisée des consommateurs européens, elle est perçue comme une menace directe pour les filières fragilisées du continent», souligne Challenge.
À la pointe de cette offensive, le lobbyiste Philippe Hériard, patron de l’agence «Droit devant», a rencontré en juin dernier l’eurodéputé du Rassemblement national Gilles Pennelle, en présence de représentants de «Tomates et concombres de France». Du côté des institutions européennes, Pierre Bascou, numéro deux de la direction «Agriculture et développement rural» à la Commission, a également tenu plusieurs réunions avec la puissante organisation espagnole Coag afin de coordonner les positions face à ce qu’ils qualifient de «concurrence déloyale».
En parallèle, l’association française «Tomates et concombres de France» a exercé une forte pression sur les parlementaires hexagonaux, poussant certains à interpeller la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, sur les mesures que le gouvernement envisage pour protéger la production locale.
Pourtant, les discussions bilatérales entre les filières françaises et marocaines ne se sont jamais interrompues. Sous l’égide du ministère français de l’Agriculture, plusieurs réunions ont porté sur la question de la saisonnalité de la production. Un accord de principe devait être scellé entre Légumes de France (FNSEA), l’AOPn Tomates et concombres de France, les organisations professionnelles marocaines, FranceAgriMer et Interfel. L’idée est de mettre en place, dès 2026, un dispositif permettant d’éviter que la production marocaine de tomates cerises n’entre directement en concurrence avec les récoltes françaises. Mais pour l’heure, ce «deal» reste suspendu, pris en étau entre la pression des lobbies et les calculs politiques à Bruxelles.
«Car derrière cette bataille se cache un paradoxe», relève Challenge. La France reste le premier importateur de tomates marocaines. L’Hexagone absorbe une large partie des volumes exportés par le Royaume, dont une partie est ensuite réacheminée vers d’autres pays européens. En valeur, ces exportations frôlent aujourd’hui le milliard d’euros.
Mieux encore, la France est désormais le troisième importateur mondial de tomates, derrière les États-Unis et l’Allemagne. Elle importe presque autant qu’elle ne produit. Et malgré les mesures de protection réclamées par les producteurs, la part des tomates marocaines dans la consommation française continue d’augmenter.
La raison est simple: prix compétitif, qualité maîtrisée et disponibilité toute l’année. Trois arguments auxquels les consommateurs européens, en quête de pouvoir d’achat et de régularité, sont de plus en plus sensibles.







