La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a cessé d'effectuer des dépôts auprès de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) au profit des banques, affirment des sources bien informées à Le360. En prenant cette décision, la CNSS ne semble pas craindre de se mettre hors-la-loi. Elle enfreint les dispositions de l'article 30 du dahir de 1972 portant sur le statut de la CNSS. Cet article stipule que la Caisse doit déposer tous ses excédents auprès de la CDG à un taux d’intérêt décidé annuellement par le ministre de l'Economie et des finances et celui de l'Emploi. Et conformément au cadre légal qui régit la CDG, cette dernière a pour mission de canaliser, sécuriser et gérer les fonds d'épargne et les dépôts, réglementés ou confiés sous mandat, de plusieurs organismes publics y compris la CNSS, dont les dépôts s'élèvent à des dizaines de milliards de dirhams. Partant de ce fait, plusieurs questions s'imposent. Pourquoi donc la CNSS a-t-elle choisi d'enfreindre la loi en confiant la gestion de ses fonds aux banques plutôt qu'à la CDG qui reste le bras financier de l'Etat ? Et pour quelles raisons confier l'avenir de 2,7 millions d'adhérents à un système spéculatif en écartant un partenaire traditionnel sûr ?
La CDG, partenaire historique de la CNSS
Auprès de la CDG, on affirme que "les textes de loi précisent clairement que la CNSS a l’obligation de déposer les excédents du Régime général auprès de la CDG. En 2010, la CNSS a engagé la mise en application des dispositions réglementaires en déposant une partie de ses excédents auprès de la CDG". Et d'ajouter que "ces fonds sont rémunérés par la CDG selon la convention approuvée par arrêté du ministère de l’Economie et des finances". Ce qui revient à dire que la CNSS, en choisissant de placer les cotisations de ses adhérents dans des banques, est dans l'illégalité. Notre source précise que "la CDG offre à la CNSS des niveaux de rémunération intéressants au regard des garanties de liquidité, de capital et de stabilité de la rémunération que lui assurent ces placements". La même source rappelle qu'un partenariat, comprenant les défis et les ambitions de chacune des deux institutions, existe depuis une longue date.
La CNSS s'explique
Le directeur général de la CNSS, Saïd Ahmidouch souligne que la Caisse qu'il préside a déposé de 2006 à 2012 un montant total de 10,4 milliards dirhams. Ces dépôts ont permis de porter le montant de la réserve totale auprès de la CDG à 32 milliards de dirhams au 31 décembre 2012. Ahmidouch reconnaît toutefois qu’une décision a été prise le 23 juillet 2013 pour cesser les dépôts à la CDG. "Le Conseil d’administration de la CNSS a pris une résolution, en date du 23 juillet 2013, dans laquelle il a décidé d’abandonner la logique de dépôts rémunérés au profit d’une logique de gestion d’actifs par la CDG", affirme le DG de la CNSS. Cette décision s’explique, selon Saïd Ahmidouche, par le fait que la CDG fixe "le taux de rémunération a posteriori de façon déconnectée des possibilités offertes par les marchés financiers". En d’ajouter: "Les taux de rendement servis restent inférieurs à ceux offerts sur le marché financier, ce qui génère un manque à gagner très important qui se répercute sur la pérennité du régime".La crainte des syndicats
Dans une déclaration à Le360, Abdelfattah Baghdadi, représentant de la Confédération démocratique du travail (CDT) au Conseil d'administration de la CNSS, a affirmé que "les textes de loi sont clairs, la CNSS est dans l'obligation de déposer les cotisations de ses affiliés auprès de la CDG". Le syndicaliste précise néanmoins que la Caisse peut déposer son budget de fonctionnement auprès d'une banque sous forme de compte courant. Même son de cloche chez Mohamed Daidaâ, membre de la Chambre des conseillers et patron du syndicat des finances de la FDT (Fédération démocratique du travail). Le syndicaliste a déclaré à Le360 que le dahir de 1972 met la CNSS dans l'obligation de faire ses dépôts auprès de la CDG. Il précise cependant qu'une proposition de loi est en cours de préparation pour que cette obligation soit levée. Selon lui, le taux d'intérêt de 3% qu'offre la CDG est nettement inférieur aux taux proposés par les banques. Daidaâ ajoute que la domiciliation des réserves de la CNSS auprès de l'organisme qui offre le plus peut être bénéfique pour la Caisse et ses adhérents.
Un autre syndicaliste, qui a requis l’anonymat, est plus virulent: "Ahmidouch oublie la règle prudentielle en confiant les cotisations des adhérents à des banques dans un contexte de crise économique dont personne ne connaît l’issue. En agissant de la sorte, il joue au poker avec les retraites des adhérents". Il est vrai que dans un contexte où certaines banques marocaines surestiment leurs résultats et d’autres sont sous-approvisionnés, qu’adviendra-t-il des cotisations des affiliés de la CNSS si l’une des banques a un problème et perd leur argent ?
Ces dernières années, la CNSS a formulé à maintes reprises le souhait de voir lever l'obligation de la domiciliation de ses réserves auprès de la CDG pour pouvoir gérer elle-même ses capitaux. Le département de l'Emploi et celui des Finances seraient en train de préparer un projet de loi pour amender le Dahir portant son statut, l'article 30 notamment. Chercher des taux plus avantageux est peut-être légitime, mais compte tenu de la crise qui a frappé de plein fouet l'économie mondiale, en grande partie à cause des spéculations bancaires, le choix pour lequel Saïd Ahmidouch a opté comporte des risques. En mettant les cotisations des salariés dans des structures au système spéculatif et soumises aux fluctuations du marché, la CNSS joue avec les cotisations de ses affiliés. Ces dernières années, plusieurs scandales financiers ont éclaté un peu partout dans le monde. L'on se rappelle particulièrement de l'affaire Enron où des millions de petits épargnants américains avaient déposé leurs fonds de pension et de mutuelle chez l'entreprise de courtage et ils ont perdu leur capital retraite après la faillite de la firme en 2001.Et puis, la démarche du DG de la CNSS est jusqu’à nouvel ordre illégale. Il est difficile de croire qu’il ait pris la décision d’enfreindre un dahir sans l’adoption de nouvelles dispositions qui l’autorisent, selon la loi, à modifier le mécanisme du dépôt des cotisations des affiliés. Jusque-là très discrète, la CDG ne va certainement pas laisser filer la manne de la CNSS sans réagir. Les grands chantiers de l’Etat, réalisés en partie ces dernières années grâce à la CDG, risquent d’en pâtir.