Face à la CGEM, le ministre du Budget, Fouzi Lekjaâ, a abordé sans détour les enjeux économiques du moment. Mais, à la fin de cette réunion de près de trois heures, une déclaration inattendue a attiré l’attention, relève le magazine Jeune Afrique. «Je suis convaincu que notre PIB est sous-estimé. Je suis impatient de découvrir les nouvelles données économiques du recensement du HCP. J’aimerais savoir exactement où nous en sommes, car cela influence directement notre taux de croissance», souligne Lekjaâ. Un commentaire ambigu, sans précisions, qui a soulevé de nombreuses questions.
L’affirmation de Lekjaâ a fait l’objet de critiques. Des experts, comme un responsable du ministère des Finances et l’économiste Hammad Kassal, ont remis en cause cette analyse, soulignant que le PIB est calculé selon des méthodes précises, basées sur la comptabilité nationale du HCP. «Alors, pourquoi cet écart entre la réalité des chiffres et la perception du ministre?», s’interroge le magazine panafricain.
Si le PIB du Maroc a triplé en 25 ans, passant de moins de 50 milliards de dollars au début des années 2000 à plus de 140 milliards aujourd’hui, la croissance semble marquer le pas depuis une décennie. Le Royaume a pourtant investi massivement dans des secteurs clés comme l’industrie automobile, l’aéronautique, le tourisme, les énergies renouvelables et les infrastructures. Ces efforts se traduisent par une économie en transformation, mais le problème de la création de valeur demeure.
Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie, ambitionne une hausse du PIB de 50% d’ici 2030, mais des experts, comme Hammad Kassal, restent sceptiques. La faiblesse de la valeur ajoutée dans de nombreux secteurs, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 93% du tissu économique national, demeure un frein majeur. Ces entreprises, souvent axées sur des transformations simples, comme la sardine en conserve ou la tomate exportée brute, génèrent peu de valeur par rapport à d’autres pays concurrents qui misent sur des produits dérivés à plus forte valeur ajoutée.
Des secteurs comme l’aéronautique et l’automobile, où le taux d’intégration augmente (43% pour l’aéronautique, près de 70% pour l’automobile), restent dépendants de la sous-traitance. La clé, selon les experts, réside dans la transition vers une économie du savoir où l’innovation, la technologie et la qualification de la main-d’œuvre jouent un rôle essentiel. Le Maroc, selon ces analystes, devrait investir davantage dans des secteurs stratégiques comme les technologies avancées ou l’industrie de défense, domaines où il peine encore à se faire une place significative.
La Turquie offre un modèle de réussite, son PIB ayant quintuplé entre 2000 et 2023. «Le savoir-faire et la productivité sont la clé de la création de valeur», rappelle Hammad Kassal, soulignant que le faible niveau d’alphabétisation au Maroc (9 millions de personnes analphabètes en 2021) reste un obstacle majeur à cette transformation. Un ouvrier qualifié, capable de lire et d’écrire, produit bien plus de valeur qu’un travailleur non formé.
Un autre facteur faussant l’évaluation du PIB est l’informel. Bien qu’il représente environ 11,5% du PIB selon les dernières statistiques du HCP (2013), il reste largement sous-estimé, notamment dans le secteur agricole. Une nouvelle enquête a été menée en 2023, mais l’informel, même s’il est présent dans de nombreux secteurs, ne contribue pas suffisamment à l’augmentation du PIB global. Il est crucial de rappeler que l’informel génère une faible valeur ajoutée, loin des grands secteurs industriels.
Le dernier changement d’année de base (2007 au lieu de 2003) a fait gonfler le PIB de 8,2%. D’autres pays africains ont récemment réévalué leur PIB de manière similaire, comme l’Algérie, dont l’indicateur a bondi de 25% en 2022 grâce à une révision des méthodes de calcul. Un tel ajustement pourrait offrir un sursaut temporaire, mais les fondations doivent être renforcées pour que la croissance soit durable et réellement propice à l’essor économique du pays.