Selon un rapport publié le 11 juillet 2025 par le département américain de l’Agriculture (USDA), l’Afrique du Nord (comprenant l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc) pèse désormais pour 15% des importations mondiales de blé. «Alors que les échanges mondiaux reculent de 10% sur la campagne 2024/25, la région, elle, augmente ses achats de 1%», note le quotidien Les Inspirations Éco dans son édition du 18 juillet.
Le résultat estun «champ de bataille» stratégique pour les grands exportateurs mondiaux, où la Russie règne désormais en maître avec près de 50% de parts de marché, reléguant l’Union européenne au second plan et laissant l’Ukraine grappiller du terrain.Cette redistribution des cartes s’explique par une conjoncture favorable aux producteurs de la mer Noire: récoltes européennes décevantes, notamment en France qui signe sa plus faible production depuis des décennies, avantage logistique de la mer Noire et offensive commerciale agressive de Moscou et Kiev.
Le Maroc illustre à lui seul ce basculement régional. D’après les dernières données de l’USDA (mise à jour de juin 2025), Rabat revoit en profondeur sa stratégie d’approvisionnement: en un an, ses importations de blé en provenance de l’Union européenne ont fondu de 38% (passant de 2,47 à 1,47 million de tonnes entre juin et mars). L’espace libéré profite directement à la Russie, qui triple quasiment ses ventes au Royaume (+214% pour atteindre 1,08 million de tonnes) et devient le deuxième fournisseur. L’Ukraine, elle, tire aussi son épingle du jeu avec une hausse de 54% de ses livraisons.
Ce réalignement marocain s’inscrit dans une dynamique maghrébine plus large. Côté algérien, la France est écartée des appels d’offres depuis juillet 2024 au profit, là encore, de la mer Noire. Même tendance en Tunisie, où les exportations ukrainiennes bondissent de 50%.Pour Moulay Abdelkader Alaoui, président de la Fédération nationale de la minoterie (FNM), cette diversification est loin d’être un simple ajustement conjoncturel. «Le Maroc, qui s’approvisionnait historiquement à 50% en France, 25% en Russie et le reste en Pologne ou en Allemagne, pourrait couvrir à court ou moyen terme jusqu’à 20 % de ses besoins auprès des États-Unis», souligne-t-il, cité par Les Inspirations Éco.
Cette ouverture transatlantique se concrétise déjà. Profitant d’un effondrement des cours mondiaux (–30% par rapport à 2024), le Maroc a importé pour la première fois 100 000 tonnes de blé tendre américain. Un achat stratégique, motivé par un prix très compétitif (50 dollars la tonne de moins que le blé russe ou européen) et une meilleure qualité, notamment un taux d’humidité plus faible.
Cependant, malgré une production nationale en hausse de 40% pour la campagne 2025/26 (4,4 millions de tonnes de blé et d’orge, grâce aux pluies de mars-avril), le Royaume reste structurellement dépendant des importations pour couvrir un besoin annuel de 5 à 6 millions de tonnes. La sécheresse récurrente fragilise encore cette souveraineté alimentaire.
Pour limiter sa vulnérabilité, Rabat mise sur une stratégie double. Il s’agit de renforcer ses stocks et d’élargir son sourcing. Un mécanisme inédit de stockage a ainsi été instauré pour constituer une réserve stratégique couvrant six mois de consommation, contre seulement deux à trois auparavant. L’État prend en charge les frais de stockage, pendant que les opérateurs privés financent l’achat de 8 millions de quintaux supplémentaires.
«La bataille ne fait que commencer», relève Les Inspirations Éco. L’USDA prévoit une concurrence accrue sur le marché nord-africain pour 2025/26, notamment avec une production européenne attendue en rebond (surtout en France) et une limitation des exportations ukrainiennes par Bruxelles pour protéger son marché intérieur. La Russie, elle, prévoit de gonfler encore ses ventes (+1 million de tonnes), tandis que les États-Unis entendent saisir leur chance (+500 000 tonnes).
Dans cette guerre du blé, la mer Noire dispose d’un atout logistique redoutable. Trois à cinq jours suffisent pour livrer les ports maghrébins, contre des trajets bien plus longs pour le blé américain. Mais Rabat compte bien tirer parti de ses infrastructures portuaires performantes et de la compétitivité prix de ses nouveaux partenaires pour sécuriser durablement ses approvisionnements, même à plusieurs milliers de kilomètres.







