33 ans après "Le Déclin de l'empire américain" (1986), une comédie à l'insolence jubilatoire, puis les "Invasions barbares" (2003), un drame poignant, Denys Arcand achève le triptyque par un polar haletant, qui parle du "grondement" des modestes un peu partout dans les sociétés occidentales.
Le sexe triomphait dans "Le Déclin", la mort dans les "Invasions" (Oscar du meilleur film étranger) puis enfin l'argent dans "La Chute de l'empire américain", qui sort le 20 février en Europe, après un beau succès au Québec.
"L'intelligence est un handicap", lance en préambule Pierre-Paul Daoust (Alexandre Landry). Ce docteur en philosophie est, à 36 ans, toujours simple livreur et le sera jusqu'à ce que ses genoux lâchent sous le poids des colis, le condamnant à une retraite encore plus misérable.
Mais deux sacs de sport bourrés de billets de banque tombent un jour à ses pieds, au hasard d'une course qui le projette en plein braquage. L'argent, qui pourrit tout, réussira-t-il à corrompre l'intello altruiste, qui dépense ses maigres économies en aidant les SDF?
"On n'a plus que le fric comme valeur. C'est la faillite de nos sociétés", explique à l'AFP le réalisateur de "Jésus de Montréal" (1989, Prix du jury et Meilleur scénario à Cannes).
Comme toujours avec Denys Arcand, ancien "gaucho" revendiqué, le scénario et une écriture provocante à l'humour québécois gouleyant servent de prétextes à une attaque en règle du système.
Tandis que l'érudition du héros livreur le condamne à la misère, la "putain de luxe" (Maripier Morin) qu'il rencontre a, elle, un sublime "condo" (appartement) avec vue sur le Saint-Laurent et les érables flamboyants.
Et l'avocat véreux "Maître Taschereau" (Pierre Curzi), grand virtuose de "l'optimisation fiscale" pour milliardaires, se félicite que "les riches échappent généralement à la justice".
Alors oui, "l'argent fait le bonheur", entend-on dans "La Chute", qui avait d'ailleurs pour premier titre "Le Triomphe de l'argent".
"Vous défendez une société qui est indéfendable", assène à un policier l'ancienne "blonde" de Pierre-Paul, une employée de banque victime, elle aussi, de l'injustice sociale.
Les "gilets jaunes", qui manifestent depuis trois mois en France pour plus d'égalité fiscale et sociale, n'existaient pas encore lors de l'écriture de "La Chute". Mais le film parle bel et bien de ce "grondement de société dans tous les pays", explique Arcand.
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"Les gilets jaunes font partie d'un vaste mouvement qui est de la même nature que le Brexit ou Trump. Les gens qui ont voté pour Trump ne sont pas nécessairement d'extrême droite mais des ouvriers qui ont perdu leur emploi parce que les aciéries sont toutes en Chine".
Dans cette dictature de l'argent, les "crétins" sont rois, accuse Denys Arcand, qui a utilisé pour préambule au film une conversation avec Bernard Arnault où le pdg du groupe de luxe français LVMH disait: "en affaires, je ne crois pas que l'intelligence soit un avantage, c'est même souvent un handicap".
"Je me suis mis à penser à tous les crétins qui sont au gouvernement", se souvient le réalisateur. "Il y a aussi la faillite de la classe politique", dont "le triomphe de Trump n'est que le symptôme".
"Il n'est pas l'acteur principal: méfiez-vous car après Caligula, il y a eu Néron. Ca ne s'est pas amélioré. Si Trump était destitué, le vice-président Mike Pence serait mille fois pire".
A 77 ans, Denys Arcand "espère" que sa santé lui permettra un prochain film, qui parlera de "la rectitude politique", souhaitant dénoncer "la dictature du politiquement correct", "tellement intransigeante qu'on ne peut plus rien dire, c'est impossible".







