Dans le cadre des activités des Journées de la créativité de l’étudiant organisées par l’université Chouaïb Doukkali, le Laboratoire d’études et de recherches sur l’interculturel (LERIC) recevra, le lundi 28 avril (15h), un invité de marque au Centre d’études doctorales, à la faculté des Lettres et des sciences humaines d’El Jadida. Tahar Ben Jelloun y sera en effet présent pour donner une conférence sur cette question qui a travaillé nombre de poètes et d’écrivains et à laquelle il aura déjà apporté, que ce soit à travers ses écrits ou ses interventions, des éléments de réponse : "Que peut la littérature ?"
Une question fondamentale qu’il est d’autant plus urgent de se poser dans un pays où la question de la langue fait toujours polémique lorsqu’il serait plus judicieux, au vu du contexte, de parler de langues au pluriel et de laisser le Maroc à une historicité linguistique seule apte à garantir une cohésion sociale et un accès au savoir, à l’apport de ses intellectuels et de la littérature en général. En effet, à cette question, "Que peut la littérature ?", les grands écrivains et poètes de tous horizons s’accordent à répondre, par-delà toute la complexité de la problématique, que la littérature espère interpeller les consciences. Aimé Césaire aura passé sa vie à lire dans "le creux de la blessure" pour rendre voix et dignité, rendre vie, à un peuple nié, à sa mémoire annihilée. Sa mort a été celle d’un héros qui, nous aura confié sa secrétaire qui avait été, durant les dernières années de sa vie, ses yeux et ses oreilles, "nous a rendu notre fierté".
Edouard Glissant apportera aussi des réponses à cette question en soulignant que, si la littérature n’a pas pour prétention de changer le monde, elle participe, en parlant ses entraves, en excavant ses non-dits, à libérer le langage, l’espace et le temps. Pour rendre le monde au monde. Pour rendre l’homme au monde. Et rendre les hommes aux hommes dans le déploiement d’une mondialité, d’une « créolisation » du monde portée par la poésie qui jette des ponts entre les peuples. Et, dira-t-il lors de la dernière conférence qu’il aura donnée à Genève : "Si un jour, à la pensée de mes poèmes, quelqu’un renonce ne serait-ce qu’à abattre un arbre, mes écrits auront servi à quelque chose".
Au Maroc, les écrivains se sont battus, depuis l’indépendance et même avant, pour faire reconnaître cette fonction de conscientisation et "d’éveil", comme le disait Césaire, de la littérature. Un débat houleux, en réalité, que l’on a fini par enterrer, avec le temps. Tout un combat porté par une littérature qui, au travers de grandes figures comme Laâbi, Khatibi, Ben Jelloun, Khaïr-Eddine, Chraïbi, et tant d’autres, tentait de bousculer, avec talent et lucidité, les mentalités dans une langue déterritorialisée, nouvelle, autre, par une littérature qui tissait une nouvelle philosophie et approche de l’identité, du même et de l’autre, et de ce qu’on pourrait appeler la raison linguistique, s’est enlisé dans l’errance idéologique. Or, ces écrivains ne disaient pas et ne disent pas autre chose. "L’écrivain est témoin de son époque. Je ne cesse de le constater, mais cela dépend aussi de l’époque et du travail qu’entreprend l’écrivain. Témoigner ne suffit pas, du moins d’après ma conception du rôle de l’écrivain. Il faut aller au-delà et traduire avec audace ce qu’on ne voit pas. Le poète est celui qui voit la vérité alors que tout est fait pour qu’elle soit noyée dans le bruit, le brouillard et les apparences", déclarera ainsi en 2011, à Berlin, Tahar Ben Jelloun. Encore faudrait-il pouvoir l’écouter. Car, comme il existe une violence symbolique, il existe une censure symbolique. Celle, sournoise, qui consiste à priver des outils d'accès à la culture.