En décidant en octobre de décerner la prestigieuse récompense au romancier corinthien, l'Académie suédoise a suscité une vague d'indignation dans les Balkans et dans le monde en raison du soutien de Handke à l'ex-homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic. Cette polémique éclipserait presque la lauréate 2018 Olga Tokarczuk, psychologue de formation et engagée politiquement à gauche, écologiste et végétarienne, qui est la quinzième femme à recevoir la prestigieuse récompense depuis sa création en 1901.
Âgé de 77 ans, Peter Handke recevra le prix des mains du roi Carl XVI Gustav lors d'une cérémonie formelle avec les lauréats des autres prix, à l'exception du prix de la paix remis a Oslo. Les célébrations culmineront avec un somptueux banquet auquel sont conviés 1.200 invités triés sur le volet. L'Académie suédoise lui a décerné le Nobel 2019 pour son oeuvre qui "forte d'ingénuité linguistique, a exploré la périphérie et la singularité de l'expérience humaine", saluant "un des écrivains les plus influents d'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale".
Handke "n'est pas un écrivain politique", a insisté le président du comité Nobel de littérature, Anders Olsson. L'institution séculaire, qui s'est toujours défendue de faire entrer la politique en ses murs, s'est surtout employée ces deux dernières années à se reconstruire après le scandale d'agressions sexuelles qui l'a faite imploser en 2017. Cette affaire avait entraîné le report du prix 2018 décerné à Olga Tokarczuk.
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Or Le choix de Peter Handke ne semble pas avoir apaisé la situation, au contraire. Une membre comité Nobel de littérature avait annoncé début décembre sa démission en raison de ce lauréat. Et vendredi, quelques heures avant une conférence de presse de Peter Handke, un éminent académicien, Peter Englund, avait fait savoir qu'il n'assisterait pas à la cérémonie de remise du prix.
"Je ne participerai pas à la semaine Nobel cette année. Célébrer le prix Nobel de Peter Handke serait pure hypocrisie de ma part", écrivait Peter Englund, historien et écrivain, dans le quotidien Dagens Nyheter. Secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise entre 2009 et 2015, M. Englund a couvert les conflits des années 1990 dans les Balkans pour des journaux suédois. Les ambassadeurs du Kosovo, d'Albanie, de Turquie et de Croatie ont également annoncé boycotter les festivités.
En 1996, un an après la fin des conflits en Bosnie et en Croatie, Peter Handke avait publié un pamphlet, "Justice pour la Serbie", qui avait suscité la polémique. Et il s'était rendu en 2006 aux funérailles de Milosevic, décédé avant d'entendre son verdict pour crimes de guerre devant la justice internationale.
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Des centaines de personnes sont attendues dans la journée pour assister à une manifestation anti-Handke en plein coeur de Stockholm, tandis qu'un deuxième rassemblement est prévu devant Konserthuset, où se tiendra la cérémonie de remise des prix. "Il a le droit d'écrire ce qu'il veut. Le problème, c'est qu'il est honoré pour ses écrits", a réagi l'organisatrice de l'une des manifestations, Teufika Sabanovic, interrogée par l'AFP.
Née en 1990, elle a perdu son père et la plupart de ses proches lors du génocide de Srebrenica, où 8.000 hommes et adolescents bosniaques musulmans ont été tués par les forces serbes de Bosnie en juillet 1995. "Il défend les criminels de guerre, il accepte le génocide, il accepte les négationnistes du génocide. Où est la limite de ce qui est acceptable?", s'est-elle interrogée.
Lors de la traditionnelle conférence de presse des lauréats du prix de littérature avant les cérémonies du 10 décembre vendredi, l'écrivain a esquivé la polémique sur ses positions affirmant aimer "la littérature, pas les opinions". Mais dans un entretien à l'hebdomadaire allemand Die Zeit en novembre, Handke avait défendu son soutien controversé à la Serbie. "Aucun des mots que j'ai écrits sur la Yougoslavie n'est dénonçable, pas un seul. C'est de la littérature", avait assuré l'Autrichien.
Interrogé sur sa présence aux obsèques de Milosevic, qui avait fait scandale, Peter Handke a répondu: "Bien sûr que j'y étais. Dans l'un des derniers votes, il s'est prononcé pour que la Yougoslavie ne soit pas démantelée. Sa tombe était aussi la tombe de la Yougoslavie. A-t-on oublié que cet Etat avait été fondé contre le Reich d'Hitler?"