Le Musée Mohammed VI d’art contemporain s’apprête à accueillir une exposition collective de trois artistes peintres femmes marocaines : Chaïbia Talal, Fatema Hassan et Radia Bent Lhoucine. A quelques jours de l’inauguration de cette exposition, prévue pour le 23 octobre 2018, la polémique enfle.
Une exposition-hommage à Chaïbia, détournéeHossein Talal, le fils de Chaïbia, est très en colère. Il déclare à Le360 qu’il n’a jamais été question d’organiser une exposition collective mais une exposition individuelle de Chaïbia. «L’idée, à la base, était de consacrer un hommage à Chaïbia Talal. C’est ce qui m’a été dit lorsque l’on m’a contacté en juillet. J’avais même proposé le titre : “Chaibia, Art et Archives“, précise-t-il, avant d’ajouter: «un premier rendez-vous a eu lieu en juillet et c’était assez expéditif, cela n’a pas duré plus d’un quart d’heure.
En principe, le rendez-vous avait été fixé avec Mehdi Qotbi, le président de la fondation des musées. Au final, la rencontre a eu lieu avec Abdelaziz Idrissi, (le directeur du musée MMVI et le commissaire de l’exposition, ndlr)».
Après ce premier rendez-vous en juillet, silence radio. Hossein Talal a été par la suite surpris d’apprendre qu’une exposition allait réunir les œuvres de Chaïbia Talal, Radia Bent Lhoucine et Fatema Hassan. «Je l’ai appris en lisant un article dans la presse», déclare le fils de Chaïbia, dépité.
Contacté par Le360, Abdelaziz Idrissi, directeur du Musée Mohammed VI, apporte sa version des faits. «La réflexion a commencé il y a un bon moment et on a rencontré plusieurs personnes, dont Hossein Talal, pour savoir si à la fin on allait organiser une exposition individuelle ou une exposition collective.»
Et d'ajouter: «Cela s'était arrêté là. Nous n’avons pas signé de contrat, nous avons juste discuté et échangé. A la fin, nous avons choisi d’organiser cette exposition collective qui nous paraissait beaucoup plus importante car elle allait présenter l’œuvre de Chaïbia dans le contexte des années soixante».Sur quels critères réunir ces trois artistes ?
Tout le monde connaît la relation fusionnelle qu’entretient Hossein Talal avec sa mère, l’artiste-peintre Chaïbia. La colère du fils n’est pas seulement personnelle, mais peut aussi reposer sur des critères légitimes. Chaïbia Talal mérite amplement une exposition personnelle pour faire la lumière sur tout ce qu’elle a apporté et les complicités qu’elle a eues avec des artistes majeurs de la scène européenne, notamment les artistes du groupe COBRA, et particulièrement Alechinsky et Corneille.
Quel magnifique projet scientifique aurait pu abriter le musée Mohammed VI si son président avait fait cet effort d’organiser une exposition qui aurait à la fois montré les œuvres de Chaïbia et ses connexions avec les artistes COBRA. Ce musée, qui a déjà monté des expositions de Picasso, Giacometti et César, aurait pu facilement emprunter les œuvres des artistes COBRA, qui ont un dénominateur commun avec la peinture de Chaïbia. Mais visiblement, Mehdi Qotbi, président de la fondation des musées, qui remue ciel et terre pour des artistes étrangers, est partisan du minimum syndical quand il s’agit de valoriser les artistes marocains.
Il y a toutefois plus grave encore. Qu’est-ce qui réunit Chaïbia Talal, Fatima Hassan et Radia Bent Lhoucine ? «A part la féminité des trois protagonistes, on aimerait bien savoir ce qui lie vraiment ces trois artistes et quelles sont les raisons de les associer aujourd’hui? » écrit ainsi sur sa page Facebook Hicham Daoudi, président de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’arts (CMOOA). Et d’ajouter : « Il y a a priori de très grandes distances entre les univers et les destins de chacune des trois artistes et le travail scientifique est de révéler les liens visibles ou les antagonismes marquants».
Abdelaziz Idrissi, directeur du musée et commissaire de cette exposition, explique en ces termes la réunion des trois noms: « dès que nous avons entamé notre travail au musée, nous avons opté d’abord pour des expositions collectives. Cette exposition que nous allons voir est une partie de l’exposition inaugurale du musée, qui était dédiée à ce qu’on avait appelé “l’expression spontanée“». Et d’ajouter : «A l’occasion de la biennale de Rabat qui aura lieu très prochainement autour d’une thématique dédiée à l’expression artistique féminine, nous avons choisi d’inclure essentiellement ces trois artistes femmes qui ont travaillé durant les années soixante. Ces artistes ont beaucoup de liens entre elles».
© Copyright : DR(carton d'invitation de l'exposition "Voyage aux sources de l'art)Abdelaziz Idrissi a ajouté dans une interview, diffusée dimanche 14 octobre dernier sur radio Médi 1, que les trois artistes femmes avaient été formées dans l’atelier du peintre Miloud Labied. Il serait curieux de savoir où le commissaire de cette exposition a trouvé cette information, inconnue des personnes qui s’intéressent à l’histoire de l’art au Maroc.
Sans vouloir accabler davantage le commissaire, que peut également bien vouloir dire ce titre pompeux, «voyage aux sources de l’art» ?
La polémique née de cette exposition est l’expression d’une frustration, celle du travail accompli jusque-là par le musée Mohammed VI. De grands espoirs ont été fondés sur ce musée. Mais reconnaissons qu’en quatre années d’existence, il n’a pas servi de levier au développement des arts plastiques au Maroc, et encore moins créé une dynamique dans le milieu des artistes et des professionnels.
Mehdi Qotbi, qui est également artiste peintre, a privilégié des expositions d’artistes internationaux de renom, qui nécessitent d’importants moyens, au détriment d'actions de fond et de la valorisation des artistes marocains. La polémique au sujet de l’exposition «voyage aux sources de l’art» est symptomatique de l’échec d’une institution, qui a failli dans sa mission de valorisation des arts plastiques au Maroc.