Commençons par le commencement et posons-nous la question: existe-t-il un design africain? La réponse est clairement non. Il existe des designers africains. L'Afrique -faut-il le rappeler?- est un immense continent, comprenant cinquante-quatre pays, divisés eux-mêmes en innombrables groupes ethniques, aux langues et pratiques linguistiques, culturelles et cultuelles diverses et variées. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant.
"Génération africaine, la force du design" est un beau-livre récemment paru aux éditions casablancaises spécialisées en la matière, Langages du Sud. Il se présente sous la forme d'un who's who illustré, un catalogue subjectif de ce qui se fait de plus notable sur le continent en cette discipline -quoique pas mal de profils retenus fassent partie de la diaspora et exercent leurs talents ailleurs.
L'ouvrage ne regroupe, d'ailleurs, que 17 pays, représentés par 49 designers. Comment s'est faite la sélection? Selon l'appréciation et les connaissances des deux auteurs auxquels la mission a été assignée: Hicham Lahlou, un des designers marocains les plus connus et reconnus, fondateur, en 2014, de la plateforme internationale ADA & ADD (African Design Awards & Days), et Mugendi K. M'Rithaa, designer et enseignant-chercheur kenyan, installé en Afrique du Sud où il exerce à la Cap Insula University of Technology, comme le souligne Patricia Defever, directice éditoriale de Langages du Sud.
© Copyright : Langages du Sud
C'est un ouvrage nécessaire. Pourquoi? Parce que c'est le premier du genre. Si cela fait au moins une bonne décennie que l'art contemporain africain jouit d'une bonne visibilité internationale (littérature spécialisée, salons et autres foires consacrés au sujet), il n'en est pas de même pour le design.
Que nous racontent les images -accompagnées de biographies professionnelles et d'une petite citation- qui rythment ce beau-livre, à raison de deux à quatre pages par designer? Richesse et diversité. Rien ou très peu ne semble lier le travail des uns et des autres. L'africanité, quasi-systématiquement revendiquée dans le discours des designers, ne nous saute pas aux yeux. C'est ainsi. Qu'on le déplore ou pas, il existe bien un goût mondial -ou mondialisé, comme on voudra. On voit certes, ici ou là, quelques clins d'œil à certaine esthétique subsaharienne, mais pas tant que ça. Ce n'est manifestement pas le propos réel de la majorité des sujets. À deux ou trois exceptions près -trop déco anecdotique, à notre goût-, la sélection nous montre des travaux au niveau plus qu'honorable, de qualité, à l'aune des critères internationaux. Une poignée d'entre eux atteignent même l'excellence -ce qui n'est pas si fréquent, même sous des cieux plus cléments, contrairement à ce qu'on pourrait croire.
Trois coups de cœurs, un peu au hasard Balthazar.
Kunlé Adeyemi.
© Copyright : Langages du Sud
Kunlé Adeyemi. Né en 1979, au Nigéria, vit et travaille à Amsterdam. Architecte et designer, fils d'architecte. A conçu un protototype multiprimé dans le monde, intitulé Makoko Floating School. Une structure préfabriquée flottante en bois, sous la forme d'un squelette de maison à toit pentu, destinée à se poser sur une lagune au ccœur de Lagos, la mégalopole tentaculaire nigériane, afin d'offrir un accès à l'éducation aux enfants des quartiers informels. C'est beau, bio, épuré, fonctionnel, économe, social et politique! Le top!***Mourad Krinah.
© Copyright : Langages du Sud
Mourad Krinah. Algérien, né en 1976. Ce lauréat de l'École des Beaux-arts d'Alger développe, depuis 2012, une série de papiers peints post-Printemps arabes revisitant la décoration murale arabo-orientale. Le principe? Isoler et répéter, à l'infini, un "motif" humain: la photo, solarisée et passée à la bichromie, d'un(e) manifestant(e) ou, au contraire, d'un agent d'autorité armé. Du Pop'art militant. Troublant. Très dans le vent, en même temps.***Vakay.
© Copyright : Langages du Sud
Vakay. Marque de lunettes tunisienne créée, en 2013, par un groupement: Souleimen Ghorbel, Adam Jabeur, Majdi Ghorbel et Achraf Chichini. Particularité? Les montures, aux formes classiques chic, sont taillées dans des essences de bois précieux, façon marqueterie, avec incrustation du logo (un tatouage berbère) en or 18 carats. Le comble du luxe et du raffinement handmade.
Il y en a d'autres, tant d'autres, qui méritent le détour. Un ouvrage nécessaire, disions-nous, pour prendre langue avec ce domaine jeune et méconnu. A charge, pour l'amateur intéressé, de creuser plus avant.