Certains cinéastes sont comme le bon vin: l’âge les bonifie et leur apporte une nouvelle robe, des saveurs insoupçonnées. Je cite toujours en exemple le regretté Manoel de Oliveira, qui a continué à sortir des chefs-d’œuvre alors qu’il était largement centenaire.
Pour d’autres, en revanche, la vieillesse a été un naufrage. Francis Ford Coppola est probablement à ranger dans cette dernière catégorie. À 85 ans, il vient de nous livrer un film qui fait plouf: «Megalopolis». C’est l’histoire d’un homme qui rêve de construire une cité parfaite, éternelle, sans défaut. Passé cette ligne de départ, le film ne nous mène nulle part. Le scénario est confus et le propos d’une naïveté assez déconcertante. Coppola ne parle, en fait, que de lui-même, de son génie incompris, et c’est assez gênant à la fin…
L’homme, qui nous a donné des bébés magnifiques comme «Le Parrain (Partie 1 et Partie 2)», «Apocalypse now» et «Conversation secrète», n’a peut-être plus grand-chose à nous dire. Son film mégalomaniaque ressemble à un mauvais «Batman» et ne pèse rien dans le cinéma d’aujourd’hui. C’est triste, mais c’est comme ça.
Le dernier naufrage de Coppola sort donc aujourd’hui au Maroc en exclusivité quasi mondiale. Dans le lot des films programmés en salle, et en excluant le marocain «Jours d’été», de Faouzi Bensaidi, il représente le haut du panier. C’est terrible, parce que cela veut dire que le public marocain n’a pas le droit de voir des films qui font réellement bouger le 7ème art, en étant collés au cœur du monde et à ce qui le fait vibrer.
«La politique des multiplexes, menée tambour battant depuis quelques années, est un coup d’épée dans l’eau.»
Trois films méritent pourtant l’attention des distributeurs marocains. Ils sont taillés pour faire le plaisir du grand public et de la communauté des cinéphiles exigeants.
Le premier s’intitule «Les Graines du figuier sauvage», de Mohammad Rasoulof, une authentique merveille, une de plus, venue d’Iran. Ce pays n’est pas seulement celui des Mollahs. Il a une histoire et une civilisation extraordinaires, parmi les plus anciennes au monde. Ces choses ne partent pas, jamais. Elles rejaillissent dans l’art, la littérature, le cinéma. Le film de Rasoulof reprend à sa manière le soulèvement de la jeunesse iranienne, et notamment des femmes, à l’automne 2022, et en fait une authentique leçon de cinéma: scénario diabolique, mise en scène au cordeau, casting plus que parfait. Et beaucoup de choses à dire, surtout.
Le deuxième film-phare de la rentrée s’appelle «All we imagine as light», de Payal Kapadia, un très beau poème visuel porté par des personnages de femmes en voie d’émancipation, plongées dans la jungle urbaine de Mumbai, en Inde.
Le troisième film-coup de poing nous vient de France: «L’Histoire de Souleymane», de Boris Lojkine, une totale immersion dans le quotidien d’un clandestin africain à Paris, qui survit entre petits mensonges et petits boulots, en attendant un hypothétique statut de réfugié…
Chacun de ces trois films nous connecte avec la réalité du monde et représente ce que le cinéma indépendant peut nous offrir de meilleur et de nécessaire. C’est vers ce cinéma-là qu’un pays comme le Maroc, qui ne dispose plus d’aucune salle dite art et essai, doit se tourner.
La politique des multiplexes, menée tambour battant depuis quelques années, est un coup d’épée dans l’eau. Elle se contente de recycler les blockbusters déjà disponibles sur les plateformes de streaming et ne répond pas à la question centrale de toute politique culturelle digne de ce nom: comment rendre visible le meilleur du cinéma mondial? À bon entendeur.