D'abord reconnu comme chanteur folk, l'artiste de 75 ans a grillé la politesse à des romanciers comme Don DeLillo ou Philip Roth pour devenir le premier Américain en deux décennies à remporter le plus prestigieux des prix littéraires.
Bob Dylan est devenu l'emblème de la génération années 1960, notamment avec son hymne "The Times They Are A-Changin'". Annonçant une décennie de bourgeonnement culturel et de turbulences politiques, l'artiste a écrit cette chanson en 1963, juste après la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté, catalyseur du mouvement des droits civiques.
Ce titre, sorti sur l'album éponyme l'année suivante, est l'un des plus accessibles de Bob Dylan, moins de trois minutes d'une mélodie facile à retenir, beaucoup plus abordable que certains de ses travaux ultérieurs.
Pour autant, le chanteur a toujours refusé d'endosser le rôle de porte-parole d'une génération, un refus apparemment sincère plus que de la fausse modestie. Il insiste: tout ce qu'il veut, c'est jouer de la musique.
L'incompréhension, la tension même autour de toutes ces attentes à son endroit, sont apparues flagrantes lors d'une conférence de presse mythique à Paris en 1966, peu après qu'il eut stupéfié le monde de la musique en passant à la guitare électrique.
A cette occasion, Bob Dylan, sur qui courent les rumeurs les plus folles, apparaît avec une poupée qu'il semble consulter avant de formuler de très brèves réponses aux journalistes. Une scène surréaliste. Et quand on lui demande si son travail cherche à faire passer un message plus profond, il répond juste: "Non".
"Mes trucs, c'était les chansons, vous savez. Ce n'était pas des sermons", dira-t-il dans une rare interview en 2004 à la chaîne CBS. "Si vous examinez les chansons, je ne pense pas que vous trouverez quoi que ce soit qui fasse de moi un porte-parole de qui que ce soit".
Dans ses tournées récentes, l'artiste a encore souvent mis un point d'honneur à se montrer désagréable: il ne dit jamais un mot pour le public, se soucie peu du fait qu'on le voit bien sur scène, et il ne joue que très rarement ses plus grands succès.
Contrairement à nombre de ses contemporains, à commencer par Joan Baez, Bob Dylan ne s'est jamais revendiqué d'aucun parti politique.
Lors du concert Live Aid destiné à récolter des fonds pour l'Ethiopie en 1985, il avait lancé qu'une partie de l'argent devrait aller aux agriculteurs américains luttant pour joindre les deux bouts. Un message un peu hors contexte ce jour-là, mais qui avait conduit à la création de la tournée de concerts "Farm Aid" pour aider les agriculteurs et leurs familles.
The Times They Are A Changin'
Jeff Taylor, professeur de sciences politiques au Dordt College en Iowa, a étudié les penchants politiques de Bob Dylan. Selon lui l'icône du rock pourrait être décrit comme un anarchiste: passionné de justice sociale, avec un zeste de cynisme.
"Je pense qu'il est très politique, mais tout dépend comment vous définissez le terme politique. C'est quelqu'un qui a toujours eu une forte conscience sociale", estime M. Taylor. "Ce qui est au cœur de la politique c'est le pouvoir, et comme il est très suspicieux vis à vis de la concentration des pouvoirs, voire carrément hostile, il a toujours en quelque sorte été opposé à ce qui est la structure actuelle du pouvoir".
Selon Jeff Taylor, il existe un parallèle entre Bob Dylan et un précédent récipiendaire du prix Nobel de littérature: François Mauriac, récompensé en 1952, écrivait comme le chanteur avec des nuances religieuses profondes, mais voulait surtout s'attaquer à l'injustice humaine.
Bob Dylan "n'a jamais voulu être un chef politique ou social, mais l'ironie est qu'il en est devenu un parce qu'il a exprimé à tellement de choses que les gens pensent", souligne encore M. Taylor.
Récemment, l'artiste a peut-être enfin commencé, en un sens, à se considérer comme une voix de sa génération. Il n'a jamais été ennuyé par le fait de prendre de l'âge et l'an dernier, pour sa première interview depuis des années, il a lui-même contacté le magazine de l'AARP, association américaine des retraités et des seniors, pour se confier.
En vieillissant, "vous laissez certaines choses aux jeunes", y expliquait Bob Dylan. "N'essayez pas d'agir comme si vous étiez jeune, vous pourriez vraiment vous faire mal", avait-il poursuivi.
Un sage avis sur le temps qui passe, pas si éloigné de "The Times They Are A Changin'".