Que la honte change de camp!

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ChroniqueComment en vient-on à mettre de côté sa mission d’enseignant, l’une des vocations les plus déterminantes au développement de notre société, pour privilégier la perversité d’une sexualité pratiquée par le biais du chantage? Sommes-nous à ce point désenchantés, déshumanisés pour être prêts à briser la jeunesse de ce pays?

Le 16/01/2022 à 13h03

On attendait depuis longtemps un changement radical du système éducatif marocain. Au gré des nouveaux gouvernements et des passations de pouvoir entre ministres, au fil des rapports et des commissions, on guettait ce jour où enfin, il se passerait quelque chose, un soubresaut salutaire qui permettrait de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière et reconstruire ce système qui pèche de bien des manières.

Déscolarisation, manque de formation du corps enseignant, absentéisme des profs, mauvais état des infrastructures, matériel pédagogique à la qualité très discutable, formations professionnelles plus en accord avec les demandes du marché, mauvaise maîtrise des langues étrangères… L’étendue des maux qui gangrènent l’éducation nationale est telle qu’on se demandait par où commencer pour prendre le problème à bras le corps.

Mais contre toute attente, ce séisme tant attendu est venu de là où on ne s’y attendait pas: des facultés, devenues le théâtre glauque de scènes de chantage pour obtenir des faveurs sexuelles contre des bonnes notes. Et nous voilà face à un autre fléau qui prend, chaque jour qui passe, un peu plus d’ampleur avec, en flot continu, comme un robinet qu’on aurait ouvert et qui ne veut plus s’arrêter de couler, des témoignages tous aussi sordides les uns que les autres d’étudiantes qui dénoncent les agissements de leurs professeurs.

Face à elles des professeurs, des hommes qui détenaient leur avenir entre leurs mains, qui avaient le pouvoir de les réduire à néant, de les souiller à jamais, de briser leurs rêves et leurs ambitions, de les maintenir dans ce silence entaché de honte… Tout ça pour quoi? Pour du sexe.

Il en faut, du courage, pour oser sauter le pas et dénoncer son bourreau. On ne peut que saluer la bravoure de ces jeunes femmes qui ont pris le pouvoir en prenant la parole, d’autant plus dans cette société qui est la nôtre, où on est prompt à remettre en question vos mœurs si vous êtes la victime.

Mais maintenant que nous sommes face à ce scandale qu’on ne peut plus taire, ni cacher, il y a lieu de se demander comment et pourquoi ces hommes ont pu jouir d’une telle impunité pour commettre leurs méfaits? Qu’est-ce qui a bien pu leur faire croire, avec autant de certitude, qu’ils ne seraient pas inquiétés? Comment en vient-on à mettre de côté sa mission d’enseignant, l’une des vocations les plus déterminantes au développement de notre société, pour privilégier la perversité d’une sexualité pratiquée par le biais du chantage? Sommes-nous à ce point désenchantés, déshumanisés pour être prêts à briser la jeunesse de ce pays? Ou plutôt, dans le cas présent, les femmes représentent-elles donc si peu de choses pour être ainsi traitées? Quelle est donc cette image de la femme que l’on véhicule pour avoir si peu de considération pour elle?

Car on ne parle pas ici de deux ou trois pervers tapis dans le confort de leur pouvoir, mais bien d’un phénomène de société qui ne se cantonne certainement pas uniquement aux universités mais à l’ensemble de la société, de ses institutions publiques et privées. Davantage que la réforme de l’enseignement, c’est à une réforme des mentalités sur laquelle il nous faut travailler d’urgence, car le système éducatif ne pourra pas changer tant qu’il sera entre les mains d’esprits tordus qui prospèrent grâce à une société qui pointe du doigt les victimes et protège les gens de pouvoir.

La libération de la parole de ces femmes victimes de chantage et de harcèlement sexuel est porteuse de bien des leçons. Prendre la parole plutôt que d’attendre qu’on nous la donne. Oser dénoncer pour mieux encourager les autres à le faire. S’unir face à l’adversité pour mieux combattre un mal. Parler pour mieux s’affranchir du poids des tabous. Ces jeunes Marocaines, grâce aux réseaux sociaux, ont réussi à faire bouger les lignes et grâce à elles, on ne peut qu’espérer que la prise de conscience dont elles sont à l’origine permettra à d’autres femmes de sauter le pas et d’initier ce même mouvement #metoo dans d’autres secteurs.

Aujourd’hui, ces jeunes femmes-là nous rendent fiers car aussi mal lotis soyons-nous quant à l’application et au respect des droits des femmes au Maroc, elles sont parvenues d’une certaine manière à faire avancer notre pays en le positionnant, au même titre que les Etats-Unis ou la France qui souffrent des mêmes maux, dans une lutte pour la valorisation de la femme au sein de la société et pour la fin d’une certaine impunité masculine.

Enfin, le fait que l’on puisse aborder frontalement ce type de problématiques sans se référer à la question religieuse, aux notions de hchouma et de hram, est une autre bonne nouvelle car nous avançons enfin sur le terrain des lois, de la justice, de la rationalité, comme dans tout système démocratique qui se respecte.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 16/01/2022 à 13h03