Malgré le froid glacial qui souffle sur le Maroc en cet hiver 2021, la température est montée d’un cran, voire de plusieurs, lorsque grâce à la «magie» des réseaux sociaux et des applications instantanées, certains d’entre nous ont reçu et, bien souvent, relayé –voyeurisme, perversité et méchanceté aidant– une vidéo hot.
Mais ne vous y trompez pas, on ne parle pas ici d’une vidéo X lambda, produite par des professionnels de cette industrie florissante. Non, on parle ici d’une sex tape filmée dans un cadre privé, par un homme en pleins ébats avec sa compagne du moment. En grands consommateurs de porno que nous sommes – ce sont les classements mondiaux qui le disent– cette vidéo a forcément eu un grand succès. Ajoutez à cela que la femme filmée porte un voile islamique… Il n’en a pas plus fallu pour propulser cette vidéo au top 5 des meilleurs productions de l’année. Et oui, associer l’interdit (le sexe, en l'occurrence) à ce qu’on considère être un symbole du religieux (le voile, en le cas d'espèce), rien de tel pour déchaîner les passions, et ça, Madonna l’avait déjà bien compris en mêlant ce petit cocktail explosif dans le shaker de l’un de ses meilleurs clips, «Like a prayer».
La chose a fait un gros buzz sur les réseaux sociaux, avant de faire la Une des médias, puis de parvenir entre les mains des autorités, qui ont mené une enquête fouillée, et, enfin, de la justice qui s’est sentie obligée, face à l’émoi général, de réagir et de faire appliquer la loi.
La foule assoiffée réclamant justice face à cet outrage aux bonnes mœurs –car c’est bien connu, au Maroc, la chasteté est une vertu sacrée– et si possible des détails croustillants avec, on lui a donc expliqué que cette femme, qui soit dit en passant s’est sentie suffisamment en confiance avec son partenaire pour se laisser filmer, est, en fait, la mère de deux enfants, divorcée, vivant à Tétouan, et que l’homme en question, qui s’est bien gardé de filmer son propre visage, se trouve actuellement à l’étranger.
Ah oui, on oubliait aussi de vous dire que la vidéo en question date d’il y a quatre ans et que depuis, cet homme et cette femme n’entretiennent plus de rapports. En d’autres termes, cet homme est son ex. Et ce que cela implique, c’est que cette femme a été vraisemblablement victime d'un revenge porn, ou, pour les francophones, d'un coup de vengeance pornographique.
En quoi ça consiste? A se venger d’une personne en rendant publics des contenus dits pornographiques, l’incluant dans le but évident de l’humilier, réalisés avec, ou sans l’accord de l’intéressé(e), et diffusés sans son consentement. En France, cette pratique odieuse, répandue chez des ex frustrés qui l’ont mauvaise après une séparation, est punie d’un à deux ans de prison, et de 45.000 à 60.000 € d’amende.
Inutile de préciser, ou en fait si, précisons-le, que la personne que l’on considère être l’auteur de ce délit est celle qui filme et diffuse, et non l’inverse. Dit comme ça, cela va de soi, mais en fait non… Parce que chez nous, au Maroc, c’est la femme qui a été filmée, la victime, donc, qui se retrouve aujourd’hui condamnée à un mois de prison et à 500 dirhams d’amende.
Et pour cause, celle-ci étant divorcée, elle est tombée sous le coup de la loi 490 du code pénal, qui punit d’emprisonnement les relations sexuelles hors mariage. Eh oui, qu’est-ce que vous croyiez mesdames? Qu’une fois libérées d’un mariage raté, vous alliez pouvoir goûter à la liberté de jouir de votre corps en toute légalité? Dans vos rêves! Vous avez le choix entre vous remarier pour entretenir votre libido, épouser la chasteté à jamais, ou mieux encore, redevenir vierge. Mais avec un peu de chance, un homme «ouvert d’esprit» voudra bien de vous, «en l’état», en secondes noces.
Mais revenons-en à celle que la toile a nommée «Moulat el Khimar» et à sa sentence… «Bien fait pour elle!», persiflent les uns. «Rien que ça?», ragent les autres. Ben oui, il faut de tout pour faire un monde et ici comme ailleurs, ils sont encore nombreux à «prétendre» se demander: «comment? Une femme voilée ça s’envoie en l’air comme ça?», «sérieux? Une femme divorcée continue d’avoir une relation sexuelle?», «WTF? Une mère respectable, "mestoura" peut avoir une vie sexuelle débridée?»... Voilà, grosso modo, le type de questions à deux sous que se posent les saintes nitouches et les défenseurs de la morale, auxquels personne n’a rien demandé d’ailleurs, pour tenter de cacher leurs propres vices et très certainement l’excitation sexuelle qu’ils ont ressentie en visionnant cette vidéo un incalculable nombre de fois.
Ce sont ces discours qui suintent la morale et le moi-je-n’ai-jamais-fauté qui sont responsables du fait qu’au Maroc, sept victimes de violences virtuelles sur dix préfèrent se taire, par honte et peur d’être rejetées par leur entourage, selon un rapport publié début mars 2020 par le réseau Mobilising for Rights Associates (MRA). Et ces femmes-là, car oui, les victimes de revenge porn sont dans leur écrasante majorité des femmes, s’exposent alors à toutes les formes de chantage de la part de celui (ou ceux) qui détiennent des images de leur intimité. On a donc le choix entre la peste et le choléra, entre se taire et encaisser en silence le harcèlement dont on fait l’objet, ou porter plainte et risquer d’aller en prison. Et à la lecture de ce passage, on entend déjà les «elles n’avaient qu’à pas se laisser aller à la débauche!» que les pères et les mères-la-morale vont se mettre à chanter… Mais c’est bien connu, la caravane passe, et blablabla.
Fort heureusement, la victime de cette vidéo – la femme donc–, a aussi fait l’objet du soutien de bon nombre de Marocains qui ont bondi en découvrant la sentence de la justice. Parmi ces soutiens, l’actrice Loubna Abidar qui ne sait que trop bien ce que c’est que de subir la violence de la vindicte populaire pour en avoir trop montré. Alors que nos sœurs bien-pensantes qui lui ont jeté la première pierre pour son rôle époustouflant dans «Much Loved» (oui j’ai vu le film, je l’ai adoré et je l’assume) rangent leur prochaine pierre dans leur poche, parce que, sait-on jamais, la prochaine victime d’un ex désabusé, ça peut être n’importe laquelle d’entre nous. A l’heure des réseaux sociaux, pas besoin d’être une pro du sexe, ni une star du X, pour être propulsée en haut de l’affiche!
Quant au réalisateur de cette sextape, il fait, nous dit-on, l’objet d’un mandat d’arrêt. Autant vous dire qu’on est impatient de connaître la peine qu’il encourt… Mais au fait de quoi sera-t-il accusé, au juste? D’avoir perdu sa virginité? De débauche? (Rire jaune)… Ou, il reste à l'espérer, tombera-t-il sous le coup de la loi 103-13 dont l’article 447-1 prévoit un emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, pour «quiconque procède, sciemment et par tout moyen, y compris les systèmes informatique, à l’interception, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de paroles ou d’informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs».
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