Merendina et l’amour à la marocaine

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ChroniqueL’amour est profondément inscrit dans l’histoire du Maroc, terre des amours d’Ulysse et Calypso, d’Isli et Tislit. Chantres de l’amour par excellence, nos chikhates ont transmis à travers les âges ce riche patrimoine marocain pétri d’amour et de sexualité à travers leurs chants.

Le 13/02/2022 à 13h43

Depuis quelques jours, au Maroc, manger un certain cake fourré au chocolat, un Merendina pour être plus précis, est devenu un acte subversif. Car sur les nouveaux emballages de la marque qui a accompagné nos récréations à l’école, figurent désormais des mots d’amour, écrits de surcroît en darija, cette langue que l’on parle sans pour autant l’assumer ni la valoriser.

«Kan Bghik» («Je t’aime»), «twahachtek» («tu me manques»), «ana wiyak wahed» («toi et moi ne faisons qu’un»), «mankdarch nsak» («je ne peux pas t’oublier»), «nta ahssan maândi» («tu es la meilleure chose que j’aie»), et enfin «rak dima fkalbi» («tu es toujours dans mon cœur»)… Il n’en a pas plus fallu pour déclencher l’ire de la couche bienpensante et moralisatrice de notre société. Rendez-vous compte, ont rugi nos gardiens des mœurs, un cake destiné aux enfants devient aujourd’hui un produit corrupteur de notre morale musulmane.

Ainsi donc l’amour, ce dénominateur commun entre les religions monothéistes, devient haram dès lors qu’on l’exprime au Maroc? On parle bien du Maroc, où on a tous grandi biberonnés aux films d’amour égyptiens où les femmes se pâmaient devant Abd El Halim Hafid ou Farid Al Atrach. On se souvient tous de ces grands moments d’émotion où ça pleurait dans les chaumières, toutes générations confondues, en écoutant avec dévotion Oum Kelthoum. On parle bien du Maroc où Guadaloupe et ses histoires d’amour ont fait flamber le marché du kleenex pendant les années 1990, avant de céder la place à une flopée de séries romantico-torturées mexicaines, turques et coréennes. Ainsi donc, on consentirait à s’émouvoir de l’amour quand il est exprimé par d’autres cultures?

Que nenni! Contrairement à ce que tentent de faire croire cette nouvelle vague bien pensante, pétrie d’une morale salafiste qui diabolise les beaux sentiments et dépouille la vie de tous ses joyeux attributs, l’amour est profondément inscrit dans l’histoire du Maroc, terre des amours d’Ulysse et Calypso, d’Isli et Tislit. Chantres de l’amour par excellence, nos chikhates ont transmis à travers les âges ce riche patrimoine marocain pétri d’amour et de sexualité à travers des chants tantôt grivois tantôt amoureux. Cette tradition orale qui a perduré, incarnée par la grande Kharboucha, mais aussi par la poétesse amazighe Mririda et plus récemment par Hajja El Hamdaouia témoigne de l’existence à travers les âges d’une véritable tradition amoureuse au Maroc dont on ne saurait rougir.

Que le Maroc et sa si riche culture soient aujourd’hui associés à ce type de morale halalisante est proprement incohérent. On en revient encore une fois à l’importance de connaître notre culture marocaine afin de ne pas effacer notre marocanité en se laissant vampiriser par une pensée rigoriste qui entend tout uniformiser sur son passage.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 13/02/2022 à 13h43