L’affaire de la sculpture des poissons à forme phallique de Mehdia a fait grand bruit cette semaine au Maroc, mais aussi à l’international, et a été le révélateur de nombreux constats tantôt affligeants, tantôt porteurs d’espoir.
Certains ont vu derrière l’acharnement de la toile à dénoncer la mocheté de cette sculpture, érigée sur un rond-point, un complexe freudien. Les Marocains seraient à ce point obsédés par le sexe qu’ils le verraient partout. Pire encore, ils ne l’assumeraient pas, raison pour laquelle ils auraient réclamé à cor et à cri le retrait de cette sculpture.
Autant l’obsession pour le sexe de bon nombre de nos compatriotes biberonnés à la frustration est un fait que personne ne saurait réfuter, autant dans le cas présent, ce serait faire insulte à l’intelligence de nos concitoyens, et leur attribuer injustement un travers de plus.
Avant d’être trop durs avec nous-mêmes, souvenons-nous de l’effet produit pas l’œuvre «Tree» («Arbre») de l’artiste américain Paul McCarthy, érigée en pleine centre de la place Vendôme à Paris en 2014. Si certains ont reconnu un sapin, d’autres, très nombreux, n’y ont vu qu’un plug anal.
L’érection de cette œuvre en marge d’une célèbre foire d’art contemporain a provoqué de terribles réactions. Au point que l’artiste américain, âgé de 69 ans à l’époque, a été agressé physiquement et verbalement. Quelques heures plus tard, en pleine nuit, l’œuvre à connotation sexuelle a été saccagée. Un outrage à l’art qui fera passer l’envie à McCarthy de réitérer, craignant de nouvelles confrontations et violences.
Un an plus tard, c’était au tour de la sculpture monumentale d’Anish Kapoor, Dirty Corner, Le Vagin de la Reine, d’être vandalisée dans le parc du Château de Versailles.
Deux exemples probants parmi tant d’autres qui témoignent du fait que l’art à connotation sexuelle occasionne de virulents débats, voire des réactions violentes dans des pays ayant pourtant une longue tradition d’œuvres plastiques.
Si cette sculpture dressée à Mehdia avait été vandalisée et détruite par les citoyens eux-mêmes, comme ce fut le cas en France par ceux qui ont été taxés dans la presse de «coincés anti-art contemporain», il y aurait eu lieu de s’inquiéter à juste titre. Or, c’est avec beaucoup d’humour et de sarcasme que les Marocains dans leur majorité ont découvert cette œuvre.
Et au-delà de l’aspect franchement phallique de cette espèce inconnue de poisson, c’est surtout la laideur de l’œuvre et l’amateurisme qu’elle reflète qui ont été fortement dénoncés.
Ce qui est donc ici rassurant, c’est que l’art a été considéré comme un sujet de débat national et chacun y est allé de ses arguments pour porter un jugement esthétique sur l’œuvre proposée. C’est là la preuve de la démocratisation de l’art qui commence à faire son petit chemin au sein de notre société.
La réaction des Marocains dans cette affaire témoigne aussi du fait que les citoyens sont conscients de l’importance de la gestion de l’espace public. Nombre d’entre eux n’hésitent plus à demander des comptes à ceux qui se sont vus confier la gestion de cet espace commun. Et ça c’est une avancée de taille pour le Maroc! Car oui, cet espace est le nôtre. Il nous appartient d’en prendre soin et d’attendre de ceux qui s’en sont vu confier la charge de ne pas faire n’importe quoi.
Un espace public, ses infrastructures, sa gestion, représentent la vitrine d’une ville, d’une culture et par extension d’un pays. Etre l’objet de la risée de tous à cause du manque de sérieux et de l’incompétence d’élus, en matière de gestion de l’art dans l’espace public, est intolérable. Il est grand temps que ça change.