Les sans dents et les sans visa

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ChroniqueEn soirée, pour frimer, on ne dit plus: j’ai eu mon visa. On dit: j’ai eu mon rendez-vous.

Le 05/06/2022 à 08h40

Quand l’ancienne compagne de François Hollande nous avait asséné son livre-réquisitoire (« Merci pour ce moment ») contre monsieur le président, beaucoup n’en ont retenu, à l’époque, que les fameux «sans dents», un petit scoop bien méchant. Je fais partie de ces «beaucoup». Le président au visage avenant et à l’air sympathique et humain, qui ira plus tard chercher des croissants pour sa compagne suivante, avait donc, d’après son ex, la fâcheuse habitude d’appeler les pauvres et les sans-grade les «sans dents».

C’est gentiment méchant.

Il faudra attendre ce que madame Macron nous écrira dans quelques années, quand l’envie lui viendra de piquer son mari à la tête de premier de la classe, mais j’ai un titre pour elle: les sans visa. C’est vendeur et ce n’est pas dénué de sens.

Il y aura alors moyen de boucler la boucle et de tricoter une sorte de continuité entre les deux présidents: les sans dents n’auront pas de visa. Voilà!

Je suis personnellement un sans dents. Hier et avec mon visa, je ne pouvais pas fouler le territoire de «mama frança» adorée parce que je n’étais pas porteur du bon vaccin anti-Covid. Ce vaccin était un visa à part entière et le visa sur mon passeport ne valait plus rien. Alors j’ai fait le nécessaire: j’ai fini par m’administrer le bon vaccin. Je me souviens de la scène, dans ces fameux hôpitaux de campagne (tiens, que deviennent-ils? Il faudrait peut-être penser à les recycler en décors pour films de guerre), tendant mon bras à l’infirmière, qui m’interroge délicatement: «Voulez-vous le vaccin A ou le B?». J’ai crié: «Le B, le B, celui qui fait office de visa, je n’ai quand même pas fait tout ce chemin pour avoir un vaccin qui n’ouvre aucune porte!»

Aujourd’hui que les temps ont changé, que les restrictions sont levées, je ne peux pas renouveler mon visa parce que… parce que c’est comme ça!

Le sans dents que je suis ne peut pas avoir un rendez-vous. Et il ne peut pas avoir une explication. Ce n’est ni un oui, ni un non. Juste: va voir ailleurs!

Vaccinez-vous si vous voulez, remplissez vos formulaires, rassemblez vos documents, et retournez à vos solitudes!

Les sans dents n’auront pas de rendez-vous. Le rendez-vous, comme le bon vaccin, devient un précieux sésame, une formule magique. D’ailleurs, pour frimer en soirée, on ne dit plus: j’ai eu mon visa. On dit: j’ai eu mon rendez-vous. Voilà qui est admirable. Alors les yeux brillent, on félicite l’heureux élu, on se demande comment il a fait, quel est son secret, quelle est cette bonne étoile qui lui a permis de mordre dans le fruit défendu.

C’est fou. 

Par Karim Boukhari
Le 05/06/2022 à 08h40