Une deuxième partie sur notre Sahara est nécessaire, M. m’ayant entre-temps accusée, très en colère, de french bashing.
Je récidive donc, mais cette fois-ci, je m’adresse à F., dont je me délecte des écrits.
Cher F., ces lignes vous sont dédiées, et puisque rêver est essentiel à notre âme d’homo franchement pas très sapiens, j’ai décidé, et je vous remercie de m’en avoir inspiré l’idée, de rêver en public, en grand, et de vous prendre tous à témoin, avec une scène droit sortie de mon imagination.
Je vais d’ailleurs me projeter dans un proche avenir, car rien ne m’en empêche.
La France et l’Espagne sont désormais à table à Genève, car mon appel saharien de la semaine dernière a été entendu. Puisque je vous dis que si.
Nous nous retrouvons donc tous brusquement, par la grâce du bout de mes doigts, près de cette grande ville suisse.
Nous sommes dans la salle d’armes d’un château moyenâgeux de l’arrière-pays genevois, au beau milieu du 1er round des négociations pour un retour du Sahara au Maroc, définitivement acté par la communauté internationale –les pourparlers, c’est ter-mi-né.
Il y a là le principal concerné, le Maroc, ce mec en perfecto (ah que si, un Marocain, c’est avant tout vêtu de bon vieux cuir bien tanné), cet excellent élève, mais ce vilain garnement quand même, d’où le perfecto.
L’Algérie, une femme ébouriffée, vêtue d’une longue tunique ceinturée, qui ne veut pas, veut pas, pas. Obstinée, les bras croisés. Pourquoi? Parce que. C’est comme ça.
La Mauritanie, un gros poisson qui frétille, la bouche ouverte, ne me demandez surtout pas pourquoi, qui ne comprend pas vraiment les raisons de sa présence là-dedans, mais enfin, qui est content d’en être.
Et puis…
La France, une femme au bonnet phrygien, à moitié dépoitraillée, dûment armée du fameux triple-décimètre qui lui a servi au tracé de nos frontières. Les plus érudits de ses historiens ont bien entendu été convoqués suite à mon appel, ils sont debout, l’air grave et compassé, alignés le long des murs de cette salle d’armes.
L’Espagne, quant à elle, est un preux chevalier en armure, maigre et de haute stature. Parce qu’il s’agit là d’un grand d’Espagne, il est entré à cheval, et il est d’ailleurs toujours à cheval. Le cheval broute de l’avoine disséminée sur la table des négociations, ce qui fait légèrement désordre. Juste derrière lui, son écuyer, un p’tit gros en chapeau, juché sur un âne.
Ah. Et puis eux, là. J’ai failli les oublier, tellement ils sont insignifiants. Une petite bande d’imbéciles attroupés en bout de table, qui n’ont rien compris à la vie, parce qu’ils refusent mordicus de porter un perfecto. Je décide donc qu’ils sont nus.
L’Allemagne est dans son rôle idoine: c’est un Franz Beckenbauer tout de noir vêtu, en short, chaussettes et crampons.
Les négociations sont à un point crucial.
Coup de sifflet germanique.
Franz Beckenbauer désigne la France, qui bombe fièrement sa belle poitrine, tout en tapotant sévèrement, avec son triple-décimètre, la paume de sa main: «le Sahara appartient au mec en perfecto, c’est une évidence».
Les historiens, sagement alignés le long de la salle, de vrais barbons, des puits de science, opinent gravement du chef.
L’Algérie se lève alors brusquement, agite frénétiquement ses cheveux ébouriffés. D’un doigt colérique, elle désigne la poitrine à moitié dénudée de la France et hurle: «c’est quoi ça? Cachez ce sein que je ne saurais voir!»
Autoritaire coup de sifflet allemand.
Carton jaune pour l’Algérie.
La France la fusille du regard et sort, de dessous la table des négociations, une petite mallette rouge.
L’Algérie regarde avec une crainte certaine la dissuasive mallette écarlate, puis décide piteusement de se rasseoir.
Après un petit rire satisfait, le mec en perfecto lève poliment la main et Beckenbauer lui accorde volontiers la parole.
Le Maroc déclare alors gravement: «très chère Algérie, vous ne sauriez prendre une allégorie au pied de la lettre. Au Sahara, du reste, je suis bien entendu sur mes terres et…»
C’est alors que la bande de tout nus, que j’ai encore failli complètement oublier, tellement ils sont insignifiants, décide de s’inviter littéralement sur la table des négociations.
A poil comme ils sont venus au monde, ils sautent brutalement dessus et se mettent à faire n’importe quoi: à danser une gigue en écartant les orteils bien comme il faut, en agitant les bras et en levant haut les jambes, tout en hurlant haut et fort. Ils improvisent ensuite une manif et scandent en chœur cet improbable slogan: «perfect! No perfecto!»
Avec son triple-décimètre, qui peut s’allonger à volonté, la France, agacée, décide de taper dans le tas, histoire de calmer la situation (l’un de ces trouble-fêtes s’est reçu un coup bien placé, a glissé sur des graines d’avoine, s’est retrouvé les quatre fers en l’air, le cheval du grand d’Espagne en a été fort contrarié et s’est mis à hennir, et du coup l’âne du p’tit gros s’est mis à braire).
La France a aussi allongé son triple-décimètre en direction de l’Algérie, qui avait commencé à ricaner, et lui a asséné un coup sec sur le chef. La France s’est fait plaisir, ça la démangeait depuis longtemps.
Interloquée par cette tape française, l’Algérie s’est frotté la tête, a de nouveau regardé la petite mallette rouge bien en évidence sur la table des négociations, et n’a décidément rien pu faire, sauf hurler de douleur.
Entre l’âne qui s’est mis à braire, le cheval à hennir, la manif des tout nus sur la table («perfect! No perfecto!»), les couinements algériens, Franz Beckenbauer s’est vite retrouvé débordé et a commencé à courir dans tous les sens à travers la salle d’armes, lançant des coups de sifflet stridents, distribuant force cartons rouges, tentant vainement, durant de longues minutes, de rétablir l’ordre.
Outré, le mec en perfecto a décidé de quitter dignement la salle d’armes, devenue un vrai bordel.
L’ont suivis, en toute raison, le grand d’Espagne, à dada sur son bidet, et son fidèle compagnon, le p’tit gros chapeauté sur son âne, puis le poisson, resté discret, la bouche grande ouverte, qui a frétillé de ses nageoires caudales pour sortir lui aussi, et aller se taper un bon petit plongeon, parce que ma foi, c’était chaud là-dedans, mais bon sang, qu’est-ce que je foutais là?
«Sur ce coup, je vais rester sympa», a fini par concéder la France, quand même furieuse, en rangeant son triple-décimètre, puis elle s’est décidée à quitter la table des négociations. Suivie d’une longue file de barbons érudits, tous à la queue-leu-leu, elle a, à son tour, quitté la salle d’armes.
L’Allemagne, en nage, a alors cessé de courir, s’est épongée le front et a entrepris de reprendre son souffle, devant les tout nus toujours en train de foutre un gros foutoir, sous le regard approbateur de l’Algérie qui frottait encore un peu sa tête endolorie.
Cette partie est terminée. Rendez-vous au second round.
Long PS.
Back to reality.
A celui ou celle qui a lu tout ça, peut-être en ricanant, qui a pu en saisir les quelques allusions. A toi, oui, toi, le (ou la) cynique bourge sûr(e) de ta supériorité.
Le délire qui précède, basé sur des faits réels, ne peut être aujourd’hui compris dans ses cohérences que par une toute petite poignée de personnes de notre cher Maroc.
Dimanche dernier, je suis allée comme d’habitude chez le marchand de pépites de mon quartier. Je lui ai donné une feuille sur laquelle j’avais écrit quelques mots-clés, pour qu’il aille sur YouTube et Google, et s’y initie à l’anglais. Il en avait manifesté le désir.
Quant à toi, le (ou la) bourge, ton anglais, tu l’as très confortablement appris grâce aux frais de scolarité payés par tes parents. Pose-toi donc quelques questions sur l’étendue actuelle de ton cynisme, sur ta prétendue supériorité.
Et, oui, vite, de grâce, une école digne de ce nom, une vraie, pour tous les Marocains.
Il suffirait d’une génération, et toi, le (ou la) cynique bourge, tu ne brillerais plus du tout.
Deuxième PS. Just for fun. Qui est donc F.? Sachez simplement que je lui ai écrit, et qu’il m’a répondu. Moutou bessem –que votre venin vous fasse crever de jalousie, si vous avez capté le truc. Et, oui, je suis assurément une méchante marocaine.