M. vit quelque part en Europe.
Il est venu, ici, à Casablanca, voici une quinzaine.
Un court week-end, une brève parenthèse enchantée, mille bravos à l’œnologue des Coteaux de l’Atlas.
Nous avons fait plein de trucs, et entre autres activités, lavé de la laitue à l’eau minérale de Sidi Ali (vraiment désolée, Madame Miriem Bensalah-Chaqroun, ex-patronne des patrons, toujours aux commandes des Eaux Minérales d’Oulmès du groupe Holmarcom, mais M. a l’estomac fragile, depuis, justement, un séjour prolongé et estival au Maroc, alors qu’il avait 16 ans).
Il a refusé l’italienne tomate séchée, mais a bien voulu, pour la confection de la salade, du poivron bien de nos terroirs et des tomates-cerises cultivées dans les serres de la très marocaine Dakhla.
Dakhla, je n’y ai jamais mis les pieds.
Eh oui, Dakhla se mérite.
Un avion raté, une cheville foulée, deux occasions loupées de me rendre dans la dernière cité de l’extrême pointe au sud de mon pays.
Il faut donc croire que je ne mérite pas encore Dakhla.
M. est français, j’ai dû lui expliquer, patiemment quoique sommairement, l’histoire de mon pays et ce conflit saharien qui n’en finit pas.
J’ai dû expliquer à M., aussi, le rôle majeur joué par son pays dans nos frontières tracées au triple-décimètre sur une carte de l’Afrique du Nord, lors de la trouble période de la décolonisation.
Tout ça, son école, qui fut aussi la mienne, ne le lui a pas appris.
Une frontière, c’est forcément irrégulier, et son tracé devrait être le résultat de l’histoire plurimillénaire des sociétés humaines, celle de ceux qui les administrent, qui règnent et gouvernent.
Notre histoire récente fut brutale, aussi brutale qu’un trait rectiligne tracé sur une carte.
J’ai dû expliquer à M., Français, notre histoire et celle de notre Sahara, et lui dire clairement que son pays a décidé, au siècle précédent, avec un triple-décimètre, sur une carte de l’Afrique du Nord, le tracé des frontières de ce que serait l’Algérie, le Maroc, une création que serait la Mauritanie (qui existe aujourd’hui, de fait, alors soit, mais je n’oublie pas quant à moi la Maurétanie Tingitane, le plus ancien nom de mon pays, sur les cartes très sommaires de l’Antiquité –Romains merci, vous m’aviez bien faite chier avec votre langue morte à la con, mais il en reste des bribes).
J’ai expliqué à mon Astérix le Gaulois pourquoi et comment les siens nous ont autant brutalisés.
Mais je vous vois tous en train de piaffer, en train de vous demander ce que va devenir M. dans cette histoire que je vous raconte.
Attendez un peu.
Cher M., je suis profondément marocaine, et en ce jeudi 21 mars 2019, se joue, en Suisse, un nouveau round pour l’avenir des frontières de mon pays, pour son Sahara.
Je ne vois pas pourquoi la France, ton pays, armée de son triple-décimètre, n’y serait pas.
Ben oui: la France (et l’Espagne, qui a administré notre Sahara au début du XXe siècle) devraient, elles aussi, être à la table des pourparlers de Genève, accompagnées de leurs meilleurs historiens, ceux parmi les plus érudits.
Nos indépendances vis-à-vis de vous étaient nécessaires, et l’histoire est, quant à elle, une science rigoureuse, qui ne ment pas.
On ne peut trafiquer l’histoire.
Ok. On le peut certes un temps, mais cela ne dure jamais.
Cher M., cette science-là, celle de l’histoire, la grande, est de notre côté.
De celui des Marocains.
Courage à vous, Algériens, dans votre révolution, que j’espère de tout mon cœur pacifique et sans effusion de sang.
PS. Et voilà pour vous, amis lecteurs. Si vous nourrissiez le désir d’en savoir un peu plus sur M. et moi, vous pouvez toujours vous gratter. Ça rêve grave, là-dedans. Non mais.