Cela fait un moment que je me suis délestée de mes livres, mais je me souviens de cette petite curiosité, au bas de ma bibliothèque, un livret que j’avais acheté dans une Fnac, sans doute à un euro (ou à 10 F?), au cours d’un séjour en France, il y a très longtemps.
Datait-il de "l’ère alpine", soit les années où j’ai fait semblant d’être étudiante?
Ou de "l’ère B.", autant dire le Jurassique Supérieur, où j’ai fait semblant d’être une épouse?
Je ne sais plus. Mais Je Cuisine au Cannabis, car tel est son titre, est un livre de recettes, à base de beuh, bref, d’herbe ou de gazon, comme vous voudrez, qui prenait la poussière au bas de ma bibliothèque.
Le genre de lecture à la fois utile et très saine, pour qui voudrait ensuite, une fois que son cake ou son omelette au mystérieux ingrédient auront été dévorés, contempler des éléphants roses, affalé sur son canapé, entouré de coussins, en lâchant des petits rires hallucinés… Bien évidemment loin, très loin, de la maréchaussée.
Ce petit machin, j’ai dû le feuilleter distraitement et en souriant, au détour d’un rayon, à Paris ou à Grenoble, avant de me décider à l’acheter, comme par mégarde, puis, évidemment, ensuite ne jamais le lire, ni mettre à exécution ses préceptes.
Mais il a été là, pendant des années, petite curiosité drolatique, gentiment subversive, ce genre de truc qui me faisait lâcher un petit rire, quand il pouvait m’arriver de le retrouver, là, juste en bas, au milieu d’autres bouquins.
Je me demande aujourd’hui, après m’en être délestée, ainsi que de presque tous mes autres livres, ce que M. Abdelilah Benkirane, qui peste en ce moment même sur le projet de loi de la légalisation du cannabis à usage thérapeutique, et qui tente aussi de le bloquer au Parlement, en y faisant jouer ses relations, barbues et voilues, aurait pensé de cet opuscule?
Lui, oui, lui, le (péniblement) licencié en sciences physiques, leader du mal-nommé Parti de la Justice et du Développement, malheureusement toujours au gouvernement, compagnon d'un psychiatre islamiste (?), aujourd'hui au gouvernail? Ce M. Benkirane, qui a lui aussi été à la tête de deux gouvernements, et qui refuse obstinément, pour une obscure raison, qu'il est aisé de deviner, de quitter les spots des médias?
Cet islamiste sait-il que des livres, il y en a pléthore?
Que le savoir est inépuisable, et que ce qu’il tempête, n’a ni queue ni tête?
S’il avait eu accès à une multiplicité de livres, à une certaine subversion, à la compréhension de l’usage qu’il pourrait faire de sa raison, il ne se permettrait jamais de mener ainsi en bateau, et en toute ignorance, tout un auditoire, qui n’en sait pas davantage.
Légaliser la culture du cannabis, ce sera faire cesser un trafic, dont nous sommes l'un des premiers producteurs mondiaux, lui donner un cadre formel, qui permettrait aux cultivateurs du Rif de recouvrer leur dignité.
Une loi permettra aussi de se mettre au diapason d’autres pays, qui ont légalisé un usage raisonné de cette plante, dont les visées thérapeutiques ont été prouvées par la science.
Cette même science, ces barbus (et leurs suiveuses voilues) font semblant de l’occulter, obnubilés par leurs poils et leur vision manichéenne du monde, un monde qu’ils rêvent de dominer.
Avant de quitter Casablanca, j’ai donné ma bibliothèque, tous mes livres, à deux enfants de mon quartier. Cet opuscule, qui y figurait autrefois, tout en bas, n’y était déjà plus. Mais ils ont aujourd'hui accès à un petit méli-mélo, qui était très perso, et qui leur donnera sans doute envie d'aller chercher, encore et toujours plus, du savoir.
Je suis sûre que ces deux enfants de Casa ont déjà les yeux plus brillants que leurs camarades.
Oui, vraiment, qu’il pleuve des bibliothèques sur tous les enfants de ce pays, pour que, devenus adultes, ils ne se laissent jamais avoir par le discours angoissant de ces semeurs d’ignorance.