Qu’est ce qu’on aura parlé de sexe sous le mandat Benkirane!

Le360

ChroniqueUne nouvelle affaire d’adultère au sein du PJD ? Et alors ? Quel manque de dignité ! Dans un pays où l’éducation part à vau-l’eau, où l’hôpital public est une catastrophe, où les citoyens se désintéressent de la politique, quelle honte de n’avoir que ces scandales de caniveau à leur offrir.

Le 29/09/2016 à 10h59

Qu’est ce qu’on aura parlé de sexe sous le mandat Benkirane ! La formule vous étonne et pourtant, jamais nous n’avons eu l’impression d’une telle succession dans les affaires de mœurs que durant la période 2011-2016. Sans cesse le débat était ramené à des sujets ayant trait, de près ou de loin, à la sexualité de nos concitoyens.

La législature du PJD s’est ouverte sur le scandale de la libération de Daniel Galvan, pédophile espagnol. Pour la première fois, nous avons vu des familles de victimes sorties de leurs gonds dans un pays où la pudeur le dispute à l’omerta dès qu’on touche à ce genre d’affaires. A suivi la fameuse affaire du baiser de Nador où deux jeunes ont tâté du cachot pour s’être embrassés. Le fait divers qui a sans doute fait couler le plus d’encre est celui, tragique, de la mort d’Amina Filali, suicidée après avoir été contrainte d’épouser son violeur.

Pendant l’été 2015, le pays entier a débattu du film Much Loved et de son actrice Loubna Abidar. On s’est déchiré autour de la taille des jupes de deux jeunes filles agressées dans le souk d’Inezgane. A Rabat, sur le parvis de la tour Hassan, deux Femen seins nus se sont embrassées. Sur la scène de Mawazine, on a hurlé devant la petite culotte de Jennifer Lopez, tandis que le chanteur du groupe Placebo portait sur son torse le numéro de l’article infâme qui condamne l’homosexualité de peine de prison ferme. Le sang a coulé sur les mains et sur nos âmes quand un homosexuel était lynché dans les rues de Fès ou qu’un couple d’hommes était battu, humilié puis arrêté à Beni Mellal.

On aura beaucoup parlé mais souvent pour ne rien dire ou, au mieux, pour s’insulter. Le débat sur les droits sexuels aura finalement très peu avancé. Certes, la fracture entre ceux qui revendiquent une liberté de l’individu à disposer de son corps et ceux qui se réclament d’une morale puritaine, et clairement misogyne, ne cesse de se creuser et il me semble que le pays balance sans cesse entre la «modernité» des pratiques et l’archaïsme des normes.

Malheureusement, personne n’imagine que seront bientôt abrogés les articles 489, 490 et 491 du Code pénal qui punissent respectivement l’homosexualité, les relations sexuelles hors mariage et l’adultère de peine de prison. Pourtant, on n’aura eu de cesse de le voir: les Marocains ne sont ni plus vertueux ni plus débauchés que les autres. Ils sont humains, trop humains. Et la société marocaine ne peut être résumée à la vision idéalisée qu’en ont les conservateurs : une société de femmes pudiques et vertueuses, d’hommes sans pulsions, une société sans homosexualité, sans violence et sans prostitution. Comme l’avait très bien dit l’ancienne ministre Nouzha Skalli: «pour appliquer ces lois, il faudrait construire des dizaines de prisons pour y enfermer des milliers de personnes!»

Sauf qu’avec le sexe on peut faire feu de tout bois. Le sexe est un outil de vengeance et de pouvoir, le plus vil et le plus efficace qui soit. «Fais ce que tu veux en cachette, mais méfie-toi car un jour nous pourrions bien l’utiliser contre toi.» Telle est la devise de ceux qui pratiquent l’arbitraire en la matière. Combien de femmes l’ont vécu à leurs dépens, accusées d’adultère, salies, jetées en pâture à une pseudo-justice ? Combien de jeunes se sont retrouvés arrêtés, humiliés par la police ?

Les dernières affaires concernant le PJD laissent un goût amer. Oui, bien sûr, on peut se contenter de pointer du doigt l’hypocrisie des faux dévots. Mais en terme d’hypocrisie, nous nous valons tous un peu non ? Et puis, les détails sordides, leur vie étalée, non cela me répugne et je ne l’approuve pas, par principe, même quand cela concerne des gens dont les idées me font horreur. Une nouvelle affaire d’adultère au sein du PJD ? Et alors ? Quel manque de dignité ! Dans un pays où l’éducation part à vau-l’eau, où l’hôpital public est une catastrophe, où les citoyens se désintéressent de la politique, quelle honte de n’avoir que ces scandales de caniveau à leur offrir.

Il serait temps de regarder notre société en face et de faire une place à l’individu, dont la vie intime, la sexualité, les mœurs en somme, ne regardent que l’individu. Il me semble que l’on manque terriblement de maturité dès lors qu’il s’agit de parler de sexe. Heureusement qu’il y a des militants courageux pour demander la dépénalisation des relations sexuelles et pour répéter qu’en la matière, l’hypocrisie ne permet plus de maintenir la paix sociale. 

Je ne pensais jamais dire ça, mais voilà que je me retrouve en accord avec le Forum de la dignité des droits de l’Homme, association proche du PJD pour qui «l’application des articles 490, 491 et 492 du Code pénal par les fonctionnaires chargés d’appliquer la loi peut porter atteinte aux libertés individuelles et aux droits constitutionnels des citoyens. De même, cette mauvaise application de ces lois expose les citoyens à des traitements dégradants et inhumains touchant leur dignité». On ne saurait mieux dire. Alors, à quand le changement ?

Par Leila Slimani
Le 29/09/2016 à 10h59