Le 19 janvier, l’Observatoire marocain des prisons (OMP) a publié son rapport annuel. Et le constat qu’il dresse est absolument tragique. Au niveau national, le taux de remplissage des établissements pénitentiaires est en moyenne de 220%. Dans une prison comme celle de Marrakech, on atteint même le triste record de 328%!
Pour l’Observatoire, les prisons marocaines ne sont plus seulement des lieux privatifs de liberté, mais des lieux punitifs qui rendent plus difficile encore la réinsertion. Car, il ne faudrait pas oublier que derrière la froideur des chiffres, se cachent des hommes et des femmes qui vivent dans des conditions indignes, entassés dans des cellules, dormant à même le sol, mal nourris, humiliés et soumis à des traitements dégradants. Ils n’ont droit à aucune intimité et l’hygiène y est tout simplement inexistante.
Les prisonniers n’ont pas accès à la formation qui est pourtant fondamentale pour préparer leur sortie et leur permettre, notamment, de retrouver un emploi. Rendez-vous compte! Parmi ces prisonniers, plus de 40% d’entre eux sont en détention préventive! Cela signifie qu’ils n’ont pas été jugés et sont donc encore présumés innocents. Broyés par la machine pénitentiaire, ils sont bien souvent oubliés par la justice qui ne traite pas leur dossier dans des délais décents.
Deux personnes ont été particulièrement importantes dans ma sensibilisation à la question des conditions de vie en prison. J’ai d’abord eu la chance de rencontrer un médecin admirable qui avait exercé plus de dix ans dans le monde carcéral. Ce qu’il m’a raconté était à la fois atroce et édifiant. Il a d’abord fait état du très mauvais état de santé physique et psychologique des patients qu’il était amené à ausculter derrière les barreaux. Selon lui, la très grande majorité d’entre eux ne bénéficiait pas du bon diagnostic et souffrait de maladies chroniques ou de troubles psychologiques graves. «Au moins 50% des prisonniers devraient être internés, mais les services de psychiatrie sont complètement saturés. Alors, on les renvoie dans la rue où ils commettent des délits ou des crimes. C’est un cercle vicieux que nous ne parvenons pas à enrayer.»
Les mauvaises conditions de vie ne font que favoriser les maladies, la violence et les crises psychotiques. Quand des cellules prévues pour trois personnes en abritent dix, il n’est pas étonnant que cela tourne mal.
La deuxième personne est Fatna El Bouih, une femme extraordinaire, engagée, qui n’a aucune amertume malgré le terrible parcours qu’elle raconte dans son très beau livre que je vous recommande, Une femme nommée Rachid. Lors d’une rencontre organisée par le Sofitel Tour Blanche, à Casablanca, l’ancienne détenue politique avait tenu ces propos qui m’ont marquée: «Il est très difficile de mobiliser les gens autour de la question de la dignité des prisonniers ou des conditions de vie dans les centres pénitentiaires. Pour beaucoup, les prisonniers méritent leur sort. Ce sont des assassins, des criminels, qui n’ont pas droit à nos égards. Mais on oublie que la prison ne doit pas jouer seulement un rôle de punition. Elle doit aussi préparer ceux qui ont été condamnés à revenir dans la société, une fois leur peine purgée. Le but n’est pas de briser mais, au bout du compte, de réinsérer.» Fatna El Bouih fait notamment un travail merveilleux auprès des femmes prisonnières et de leurs enfants.
Longtemps militante au sein de l’OMP, elle crée, en 2005, l’Association Relais Prisonniers Société (ARPS) qui permet notamment de créer des crèches pour les enfants de prisonnières puis de les scolariser à l’extérieur des établissements.
La question des prisons est loin d’être une spécificité marocaine. Aux Etats-Unis comme en France ou en Egypte, la prison rime avec humiliation et mauvaises conditions de vie. Il y a quelques semaines, un prisonnier à Sequedin, en France, a porté plainte contre l’Etat pour protester contre la présence de milliers de rats dans la cour, les douches et les cellules de l’établissement.
Aujourd’hui, au Maroc comme ailleurs, les prisons sont devenues de véritables fabriques de criminels, des lieux où l’on se radicalise et d’où l’on sort plus gorgé de haine qu’on y est entré. La société civile doit se mobiliser, auprès de l’Etat, pour favoriser de meilleures conditions de vie en détention. Pour protéger la dignité de ceux qui, bien que condamnés, demeurent des citoyens à part entière. Il en va de notre cohésion sociale comme de notre humanisme!