Mon ami Karim Boukhari a écrit dans sa dernière chronique ce qu’il fallait dire à propos du massacre en Nouvelle-Zélande. Il a bien fait de citer les obsédés du «grand remplacement», allant de Renaud Camus à Michel Houellebecq. Je poursuis sa pensée en rappelant ce que d’autres tarés, d’autres criminels ont fait au nom de l’islam pour que nous nous trouvions aujourd’hui face à l’innommable, face à l’horreur.
L’auteur du massacre dans les mosquées de Christchurch a déclaré qu’il a eu l’idée de tuer le maximum de musulmans après avoir visité la France et constaté combien la culture et la civilisation de ce pays sont menacées par la présence d’une importante communauté musulmane. Il se serait référé aux textes d’un écrivain d’extrême-droite ainsi qu’aux déclarations de quelques excités frontalement islamophobes. Le roman de Michel Houellebecq, «Soumission», sorti en 2015, s’est vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dans toute l’Europe.
Cette tragédie a eu lieu dans un pays si loin de l’Europe, un pays qui compte 45.000 musulmans, soit 1% de la population, et qui passait pour être un havre de paix et de tranquillité.
Depuis quelques décennies, l’islam et les Arabes sont la cible d’un racisme tout azimut, soupçonnés de tout le mal qu’on peut imaginer. Certains ont créé le mot «islamophobie», soit la «peur de l’islam», pour caractériser ce rejet. Il ne s’agit pas de peur, mais de haine. En tout cas, depuis le 11 septembre 2001, le soupçon s’est généralisé et il est de plus en plus difficile pour un musulman de passer certaines frontières.
En fait cette haine vient de loin. On ne va pas se plaindre, ni jouer à la victime. Pour avancer et mieux se défendre, nous devons désigner notre part de responsabilité dans ces tragédies à répétitions qui n’épargnent aucun pays, aucune communauté, y compris la musulmane. On peut même avancer que les victimes musulmanes de cette haine et cette intolérance sont plus nombreuses que les autres.
Si une grande partie du monde rejette l’islam et les Arabes, c’est que des musulmans et des Arabes– une minorité agissante– ont commis des actes horribles au nom de l’islam, faisant endosser à cette religion les pires intentions. Comment l’islam peut-il se débarrasser de cette minorité qui salit son image et lui porte un tort considérable?
Je me souviens d’un pays et d’une société où les immigrés marocains vivaient paisiblement et jouissaient de droits et de respect. L’été, quand ils revenaient en vacances à Tanger, ils ne tarissaient pas d’éloges concernant les Pays-Bas.
Profitant d’une politique d’ouverture sur la culture et la religion de cette communauté, des excités radicalisés ont décidé de mettre fin à cette paix sociale.
Un Marocain, Mohamed Bouyiri, 26 ans, né au Pays-Bas a tué Théo Van Gogh (l’arrière-petit-neveu du peintre Vincent Van Gogh), un réalisateur connu pour ses prises de positions extrémistes, et très critique à l’égard de l’islam. C’était le 2 novembre 2004. Le meurtre a été horrible. Après avoir tiré plusieurs balles dans la tête de Théo, il l’a égorgé. Arrêté, il n’a exprimé ni regret ni remords. Il a déclaré (la stupidité le dispute à l’ignorance crasse): «il y a une loi qui m'oblige à couper la tête à celui qui insulte le Prophète. J'ai agi par conviction, pas par haine».
Résultat: les élections de 2006 ont vu triompher deux partis d’extrême-droite connus pour leur haine de l’islam. Le parti WD eut plus de 5% des voix. Un autre parti, le Parti de la liberté, dirigé par Geert Wilders, qui comparait Le Coran à Mein Kampf et l’islam au fascisme, a lui aussi eu beaucoup de voix.
Depuis, la vie des immigrés a été totalement bouleversée. Fini le pays où l’accueil était sympathique et aimable. Finie l’attention particulière à la culture d’origine (des écoles coraniques pour les Turcs, des mosquées, des centres culturels etc.).
Ainsi, il a suffi d’un seul acte barbare pour que l’ensemble des immigrés musulmans en pâtissent et en souffrent dans leur vie quotidienne.
Ce cas s’est répété plusieurs fois et a touché plusieurs pays. Ceux qui ont agi au nom de l’islam, les Etats qui les ont aidés et financés, les organisations qui les soutiennent au nom d’une solidarité basique, portent une immense responsabilité dans cette dégradation des rapports entre les musulmans et l’Occident.
La tragédie néo-zélandaise surprend par son ampleur. D’autres tarés, comme les appellent Karim Boukhari, doivent se réjouir d’avoir été «vengés» par cet homme de 28 ans qui a porté la haine jusqu’au meurtre sans distinction. Ils sont journalistes, écrivains, hommes politiques ou simples ouvriers qui répandent la haine de l’islam parce qu’on leur a dit et répété que la France, voire l’Europe, seront tôt ou tard islamisées et vivront sous la loi de la charia la plus stricte, la plus barbare. De quoi faire peur et avoir peur!